Un jour, ils se sont dits : «On n’en peut plus. Il faut partir». Et ils ont tout quitté. Seuls ou en familles, ils ont parcouru des milliers de kilomètres pour chercher refuge ailleurs. «Tout quitter» relève plutôt, pour eux, de la nécessité, d’une fatalité qui s’impose quel qu’en soit le prix à payer. Souvent très cher.
Ils s’appellent Malongo, Lutumba, Réda, Oni, Youssef, Mukantagara. Ils sont venus de Syrie, de Côte d’Ivoire, de la RDC, d’Irak, de Palestine et d’ailleurs. Ils ne se connaissent pas mais leur histoire est identique. Elle est faite dans la douleur et la souffrance. Certains d’entre eux viennent d’arriver au Maroc, d’autres sont au Royaume depuis des années. Leur nombre est estimé aujourd’hui à 3.580 selon HCR-Maroc et à environ 5.000 selon certaines sources non officielles.
Du camp de Yarmouk à Nador, le sort incertain de Réda, le Palestinien
Réda, 40 ans, fait partie des derniers arrivants. Il est au Maroc depuis plus d’un mois et demi après avoir quitté, malgré lui, le camp de Yarmouk, le plus grand camp palestinien de Syrie, transformé dernièrement en vrai tombeau. Des dizaines de personnes y ont laissé leur vie à cause des combats, de la faim, de l'épuisement et de la malnutrition. En fait, il est régulièrement pilonné par le régime syrien et les approvisionnements en nourriture, eau, médicaments, électricité sont de plus en plus rares. Aujourd’hui, la population de Yarmouk s’est réduite à 18.000 personnes contre 160.000 au début du conflit à cause des pertes au combat et l'exil massif.
« On a été condamné à mourir à petit feu. Chaque jour qui passe apporte son lot de souffrance et de peur. Entre les décapitations des fanatiques de Daech et le bombardement du camp par l’armée d’Assad, on n’avait pas de choix autre que de tout quitter et de chercher refuge ailleurs », nous a confié Réda.
Mais le chemin de l’exil n’est pas de tout repos. Accompagné de sa femme enceinte, de son oncle et de ses enfants, Réda va s’installer d’abord au Liban avant un retour en Syrie. Un séjour qui ne va pas durer longtemps, puisque Réda va retourner de nouveau au Liban. « De là, on a pris l’avion vers l’Algérie avant de passer par les frontières terrestres vers le Maroc. Ce périple a duré presque un mois et demi », nous a-t-il précisé.
Aujourd’hui, Réda et sa famille vivent dans l’un des hôtels de la ville de Nador dans l’attente d’accéder à Mellilia pour demander asile auprès des autorités espagnoles. Une attente qui ne semble pas réalisable dans l’immédiat. En effet, les autorités marocaines et espagnoles refusent jusqu’à présent de les laisser se présenter devant le bureau du HCR nouvellement inauguré dans les présides occupés. Un refus des plus incompréhensibles alors que Réda et les membres de sa famille disposent d’une carte de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient (UNRWA) mais les autorités marocaines et espagnoles ne motivent pas leur décision. Pis, ces autorités n’ont pas jugé urgent, non plus, de venir en aide à cette famille en détresse. «Actuellement, on vit avec les quelques sous qu’on a apporté avec nous et de l’aide de l’église de temps à autre. La carte d’UNRWA qui nous garantit quelques aides financières et alimentaires dans le camp de Yarmouk semble perdre toute utilité ici», nous a expliqué Réda avant d’ajouter : «On est livrés à nous-mêmes et c’est à nous de nous débrouiller pour trouver un toit et de la nourriture».
Aujourd’hui, le Maroc compte 3.580 personnes venues chercher refuge et protection internationale. 643 d’entre elles ont réussi à obtenir le statut de réfugié et 2.937 vivent toujours dans l’attente.
Les Ivoiriens arrivent en tête avec 261 réfugiés suivis par les Congolais de Kinshasa (133) et les Irakiens (108). Les Palestiniens occupent la quatrième place (38) avant les Camerounais (25) et les Nigérians (10).
Quant aux Syriens, ils occupent la tête du peloton des demandeurs d’asile avec 1.054 demandes suivis par les Congolais de Kinshasa (536) et les Ivoiriens (364). Les Maliens (185), les Camerounais (184) et les Nigérians (123) arrivent en dernier avec d’autres nationalités (491).
Les Syriens, les Congolais et les Ivoiriens représentent les premières nationalités ayant déposé des demandes de protection internationale au Maroc. Ils représentent respectivement 29%, 19% et 18%.
Pourtant, le sort des nouveaux arrivants n’a rien à envier à celui des anciens, installés des années durant au Royaume.
Ils sont livrés eux aussi à eux-mêmes. Ils vivent dans une précarité sociale extrême. Sans revenus financiers ou travail, et sans mesures d’accompagnement et de protection de la part de l’Etat, ils souffrent le martyre.
C'est toujours pareil
Bon nombre d’entre eux survivent grâce à la solidarité et à la générosité de leurs compatriotes ou de certains Marocains. S’ils sont aujourd’hui plus ou moins protégés contre les arrestations et le refoulement vers les frontières, ils ne le sont néanmoins pas contre la pauvreté et des conditions de vie inhumaines.
Mori, 35 ans, en sait quelque chose. Il vit au Maroc depuis 2005. Il fait partie des milliers d’Ivoiriens qui ont été forcés de tout quitter pour trouver refuge loin des combats, des pillages et des arrestations arbitraires. « Ma vie a été en danger et j’étais en proie à l’inquiétude et l’angoisse. Un jour, j’ai décidé de fuir. Le choix du Maroc n’a pas été prémédité. C’est le hasard qui m’a conduit jusqu’ici», se souvient-il.
Aujourd’hui, Mori vit à Rabat. Il mène un quotidien fait de peine et de souffrance. Il est en chômage depuis longtemps. Son état de santé ne lui permet pas de travailler. Il vit de la mendicité et de la générosité de certains de ses compatriotes avec qui il partage une chambre minuscule dans l’un des quartiers pauvres de la capitale du pays. «Auparavant, j’ai travaillé dans les chantiers de construction mais la détérioration de mon état de santé m’empêche d’exercer une quelconque activité professionnelle», nous a-t-il expliqué.
Mori vit seul, sans femme et enfant. Il n’a même pas des proches ou des membres de sa famille. «Penser à fonder une famille dans ces conditions relève du suicide. Les gens comme moi n’ont plus le droit d’aimer et de faire des enfants », a-t-il lâché.
Notre homme a le sentiment d’être abandonné. Même de la part du HCR censé porter, selon lui, un peu de confort et d’espoir dans la vie des personnes qui ont fui la guerre et les persécutions. «Le HCR accorde davantage d’intérêt aux nouveaux réfugiés notamment ceux venus en famille. Les anciens, comme mon cas et les célibataires, ne semblent plus faire la priorité », a-t-il lancé.
L’accès au statut de réfugié accordé en 2006, ne semble non plus rien changer dans cette vie sombre. « Je vis au jour le jour en me débrouillant. Avec carte de réfugié ou sans, ma vie ressemble à celle de tous les jours», nous a-t-il confié avant de poursuivre :« Et ce ne sont pas les infimes aides accordées par le HCR qui vont rendre ma vie heureuse».
Comme beaucoup d’autres réfugiés présents au Maroc, Mori semble remonté contre le HCR. « Ce n’est pas avec les 100 DH du HCR qu’on aura accès aux soins et médicaments et ce n’est pas non plus avec le bon de 100 DH donné à chaque réfugié comme assistance alimentaire et hygiénique tous les trois mois qu’on va faire face à la misère et à la famine. D’autant plus qu’on ne bénéficie d’aucune assistance juridique en cas d’accident, d’abus, de vol et de viol », a-t-il lâché. Mori semble perdre tout espoir de trouver des jours meilleurs ou que sa situation change. « On vit comme on peut avec les moyens qu’on a mais sans espoir que demain sera un autre jour », a-t-il affirmé.
Une situation qui appelle à durer tant l’accueil des demandeurs d’asile dans notre pays n’est pas réglementé. En effet, le pays ne dispose pas d’un dispositif permettant d’accueillir les demandeurs de protection internationale pendant toute la durée de la procédure d’asile. Notre pays manque de centres d’accueil pour les demandeurs d’asile offrant un hébergement accompagné et donnant droit, en outre, à une allocation financière temporaire dans l’attente de la régularisation de leur situation et à un accompagnement social et juridique. En effet, au-delà des engagements et des déclarations politiques, la réalité est que le droit d’asile au Maroc n’existe pas. Si le Maroc a bien ratifié la Convention de 1951 relative à la définition du statut de réfugié le 26 août 1957 et son protocole additionnel de 1967 le 20 avril 1971, il n’a pas encore mis légalement en place des procédures nationales permettant de définir un statut de réfugié. Une triste réalité.
Repères
Les personnes âgées entre 18 et 59 constituent la grande majorité des réfugiés et demandeurs d’asile au Royaume. Les enfants représentent 27,6%, les femmes (43,6%) et les hommes (56,4%). 34% de cette population ont un niveau scolaire primaire, 23% celui des écoles supérieures, 8% universitaire et 2% technique.
Les statistiques du HCR-Maroc révèlent que 52,4% de ces personnes ont travaillé dans le secteur des services dans leurs pays d’origine, 4,2% dans l’industrie, 5,6% dans l’agriculture et 3,9% ont été des étudiants. 27,6% ont déclaré être sans emploi.
Une grande partie de cette population réside à Rabat avec 455 personnes, soit 26,8%. Casablanca arrive en seconde place avec 352 personnes (20,7%). Tanger occupe la troisième place avec 115 (6,8%) suivie par Tétouan avec 111 (6,5%) et Kénitra avec 59 (3,5%). Marrakech, Béni Mellal et Fès occupent les dernières places avec respectivement 19, 16 et 15 personnes. Il reste à préciser que plus de 443 personnes sont réparties dans d’autres villes du Maroc.
Afin de subvenir aux besoins de cette population, HCR-Maroc dispose d’un budget global de 3,4 millions de dollars destinés à assurer le fonctionnement et l’assistance aux réfugiés et demandeurs d’asile. La Principauté de Monaco et la Suisse contribuent respectivement avec 200.000 et 430.000 dollars dans ce budget, soit 19%.
20 Juin 2015, Hassan Bentaleb
Source : Libération