L’UE est-elle en train de changer sa politique concernant les barrières grillagées édifiées pour lutter contre les flux de migrants irréguliers ? C’est ce que laisse penser la dernière décision de la Commission européenne refusant la demande espagnole d’aide visant à financer trois projets de clôtures à Sebta et de Mellilia.
Selon certaines sources médiatiques européennes, l’Espagne aurait demandé quatre millions d’euros dont 1,6 million pour mettre en place de nouveaux équipements de surveillance, 1,24 million pour augmenter la hauteur des barrières et 1,17 million d'euros pour la maintenance des digues de La Tajaral et Benzú à Sebta.
L’UE n’en est pas à son premier refus. L’année dernière, l'exécutif européen a déjà refusé d’approuver une aide d’urgence de 10 millions d'euros destinée à aider l'Espagne à faire face la pression migratoire et à financer le renouvellement des barrières grillagées.
Mais, il n’y a pas que l’Espagne qui est dans la ligne de mire de la Commission européenne, la Grèce aussi s’est vu refuser son aide de financement pour construire une clôture le long de ses frontières avec la Turquie. Idem pour la Hongrie qui compte construire une clôture le long de sa frontière avec la Serbie pour endiguer le flux de migrants irréguliers.
A noter que l’entretien des barrières grillagées édifiées autour des présides occupés de Sebta et Mellilia coûte 10 millions d’euros par an. La barrière édifiée à la frontière entre la Grèce et la Turquie coûte plus de 7 millions par an aux contribuables grecs.
Natasha Bertaud, porte-parole des Affaires intérieures, a indiqué à ce propos, lors d’une conférence de presse tenue dernièrement, que l'UE n'a jamais financé la clôture construite dernièrement par la Bulgarie sur sa frontière extérieure avec la Turquie. Pour elle, la position de Bruxelles est claire : elle est contre les barrières et croit que la construction de ces dernières n’est pas le moyen le plus efficace pour contrôler les frontières.
La porte-parole des Affaires intérieures a également précisé que malgré le fait que « la responsabilité de gérer les frontières » et « d’identification des mesures à mettre en place pour assurer la sécurité des frontières extérieures de l'UE » sont du ressort des Etats membres, il n’en reste pas moins que «L’ensemble des mesures destinées à gérer les flux migratoires doivent être pleinement en conformité avec les lois de l'UE et des obligations internationales, y compris le respect des droits des migrants et le principe de non-refoulement dans le cas de personnes ayant besoin d'une protection internationale ».
Des propos qui fondent comme neige au soleil au vu de la réalité des politiques migratoires européennes de plus en plus sécuritaires. Une récente enquête menée par le collectif The Migrant Files, un consortium de journalistes européens, a révélé que les pays de l’Union européenne ont dépensé 11,3 milliards d’euros depuis 2000 pour renvoyer les migrants illégaux, et 1,6 milliard d’euros, pour assurer la protection des frontières de l’Europe. L’expulsion d’un migrant coûte en moyenne 4 000 euros, dont la moitié pour les frais de transport et le taux de retour des migrants en situation irrégulière a été de 33 % en 2014.
L’enquête a révélé également que les citoyens européens sont eux aussi mis à contribution pour financer la protection des frontières : 1,6 milliard d’euros depuis 2000 dont les principaux bénéficiaires sont les grands groupes industriels spécialisés, comme Airbus, Finmeccanica et Thales, souligne l’enquête. La Commission européenne contribue également au financement des mesures pour la protection des frontières. Pour la période 2014-2020, 3,8 milliards sont budgétisés pour le Fonds pour la sécurité (FSI, ou ISF en anglais).
Des politiques de migration qui ont été largement critiquées dernièrement par Zeid Ra'ad Al Hussein, Haut-commissaire aux droits de l'Homme lors de la présentation de son rapport sur la question devant le Conseil des droits de l’Homme, qui a constaté «l'incapacité de la communauté internationale de protéger les droits des migrants». Avec ou sans visa, les migrants ont des droits, a affirmé M. Zeid, qui s'est dit choqué par la «diabolisation» des migrants dans de nombreux pays «qui ne manquent de rien». Il a appelé les membres du Conseil à s'opposer à cette tendance dangereuse. Le Haut-commissaire a aussi demandé aux autorités européennes d'intégrer pleinement l'idée que l'Europe a besoin de migrants, estimant que «le continent peut donner refuge, à terme, à un million de personnes déplacées par les conflits en Syrie», au Yémen, en Somalie, en Libye et ailleurs.
François Crépeau, responsable onusien, a souligné que les migrants sont convaincus qu'ils ne font rien de mal, qu'ils ne font que fuir la violence et les persécutions et cherchent un travail pour subvenir aux besoins de leurs familles, ajoutant que chacun ferait de même dans la même situation à condition d'avoir le même courage. Les politiques répressives contre l'immigration irrégulière ont échoué, de même que la fermeture des frontières: c'est une des conséquences inévitables de la mondialisation. Les Etats ne gagneront contre les réseaux de passeurs qu'en détruisant leur modèle économique, qui découle des barrières dressées contre les migrants, a encore observé M. Crépeau.
Gilbert Houngbo, directeur général adjoint pour les opérations de terrain et les partenariats de l'Organisation internationale du travail (OIT), a déclaré que la question des migrations devait être considérée comme un problème mondial, au même titre que la crise financière de 2008 ou le changement climatique. Il a rappelé qu'il fallait accorder des conditions de travail dignes tant dans les pays d'origine que de transit ou d'accueil des migrants. Il faut également concevoir des programmes de réintégration dans le cadre des retours, librement consentis ou non. Mme Thompson, de l'OIM, a mis l'accent sur la vulnérabilité des migrants: les États ont, certes, le droit souverain de définir «qui peut entrer et séjourner sur leur territoire» mais ils doivent le faire dans le respect des droits de l'Homme des personnes concernées. Mme Batchelor, du HCR, a souligné en particulier le fait que les requérants d'asile ont le droit de ne pas être renvoyés dans leur pays d'origine. Le fait de recevoir et protéger des migrants est essentiel, mais la prévention est nettement préférable, a-t-elle ajouté.
Au cours du débat, les délégations ont souligné l'importance de lutter contre les raisons profondes des migrations. La communauté internationale a ainsi été priée de prendre conscience du fait que la migration est associée étroitement au problème de la pauvreté. Il a été relevé que les solutions sécuritaires préconisées par les pays riches devaient céder la place à une perspective globale, qui donnerait une place de choix à l'aide au développement en faveur des pays d'origine. L'adoption de cadres de développement à long terme qui permettent d’établir des stratégies de migrations respectueuses des droits de l'Homme a été recommandée. Une délégation a cependant mis en garde contre «les amalgames entre le régime du droit d'asile et le traitement des migrants économiques».
Les intervenants ont plaidé, en outre, pour une meilleure coordination de l'action des institutions internationales concernées et pour la protection des droits et de l'intégrité physique des personnes qui cherchent refuge hors de leur propre pays.
L'Union européenne a été encouragée à appliquer une véritable stratégie de gestion des migrations et à créer des filières légales de migration. Les délégations ont enfin appelé à une lutte coordonnée contre l'exploitation inhumaine des migrants par les groupes de trafiquants, invitant tous les Etats à ratifier et mettre en œuvre le Protocole de Palerme sur la lutte contre la traite des migrants. Les organisations non gouvernementales ont pour leur part regretté en particulier l'incapacité des pays d'accueil et de départ des migrants de Méditerranée à apporter des réponses aux problèmes de fond qui expliquent cette migration.
23 Juin 2015 Hassan Bentaleb
Source : Libération