Création de centres de tri pour réfugiés et accélération des expulsions pour les recalés au droit d'asile: les dirigeants de l'UE réunis à Bruxelles ont durci les conditions d'accueil des migrants pour désamorcer une crise menaçant la libre circulation dans l'espace Schengen.
Le renforcement des défenses de la "Forteresse Europe" a été imposé comme contrepartie à un effort de solidarité demandé en faveur de l'Italie et de la Grèce, dont les systèmes d'asile sont submergés par l'arrivée de vagues de migrants.
Quelque 120.000 sont arrivés depuis le début de l'année, affluant pour beaucoup des côtes libyennes ou turques, selon le HCR.
L'aide des partenaires moins exposés de par leur géographie n'est pas acquise. La Commission voulait imposer la prise en charge sur deux ans de 40.000 demandeurs d'asile arrivés dans ces deux pays et fixer des critères pour leur répartition.
L'effort devait être complété par l'accueil de 20.000 réfugiés originaires de Syrie et d'Érythrée venus des camps gérés par le HCR.
"La politique l'a emporté sur la compassion jeudi pendant le sommet", a déploré un participant. Les dirigeants européens ont refusé toute obligation et certains ont réclamé qu'il soit précisé que l'effort de solidarité serait seulement "volontaire".
Les débats ont alors tourné à l'aigre. Le président français François Hollande a parlé de "moments de tension bien légitimes".
"La tournure des discussions a été désagréable", a déploré la présidente de la Lituanie Dalia Grybauskaité, en faveur d'une solidarité volontaire.
"Si vous voulez une base volontaire, si c'est ça votre idée de l'Europe, alors gardez-là pour vous. Nous nous débrouillerons seuls", a lancé le président du Conseil italien Matteo Renzi, selon le récit fait par un des participants.
Il a obtenu gain de cause. "Le mot volontaire n'est pas dans les conclusions" du sommet, s'est-il félicité. Mais le résultat est jugé décevant car aucune obligation n'est non plus imposée aux États.
"L'Europe n'est pas à la hauteur des ambitions qu'elle déclame", a déploré Jean-Claude Juncker, dépité par la révision à la baisse de son projet. .
"C'est une décision affligeante, c'était une réunion pratiquement pour rien", s'est pour sa part insurgé le Premier ministre libéral belge Charles Michel.
"Pour certains pays, la solidarité c'est quand ça les arrange et uniquement quand ça les arrange. Ca ne va pas", a-t-il dénoncé.
L'organisation non gouvernementale Avaaz, à l'origine d'une campagne européenne pour aider les réfugiés, a déploré un "échec humanitaire".
La répartition des 40.000 candidats à l'asile n'a pas été chiffrée. Selon les critères proposés par la Commission européenne, la France devrait prendre en charge 9.000 réfugiés, mais le gouvernement ne semble pas prêt à souscrire à un tel engagement, a-t-on appris de source française.
"Je suis gêné"
Le tri entre les arrivants a été demandé par Paris dans le cadre de la lutte contre l'immigration irrégulière. "Il faut être capable d'accueillir, d'enregistrer, de faire une distinction", a soutenu François Hollande.
Les camps de triage créés en Italie et en Grèce auront cette mission. Financés et gérés par l'Union européenne avec des "agents" détachés par les États membres, ils permettront "d'opérer la sélection entre ceux qui peuvent bénéficier de l'asile de ceux qui doivent être renvoyés", selon Bernard Cazeneuve, le ministre de l'Intérieur français.
Une fois ce tri opéré, les retours des déboutés du droit d'asile devront être accélérés, ont demandé les dirigeants européens.
"Je suis gêné" par ce durcissement, a confié à l'AFP le président du Parlement européen, le social démocrate allemand Martin Schulz, avocat d'un "droit à l'immigration, comme aux États Unis et au Canada".
La sélection pose également problème à Matteo Renzi, a confié un responsable européen. Le pape François avait pris les devants, en affirmant que tous les migrants doivent être accueillis et protégés et cette position s'est imposée dans la péninsule.
Mais si l'Europe ne parvient à pas à s'entendre entre accueils et expulsions, les mesures unilatérales risquent de se multiplier. L'Italie a menacé de laisser passer tous les migrants sans les identifier et la Hongrie de suspendre un règlement sur le droit d'asile. Schengen, l'espace de libre circulation, serait alors en péril, avertissent de nombreux responsables européens.
26 juin 2015,Christian SPILLMANN
Source : AFP