samedi 23 novembre 2024 22:32

Au Qatar, le système de la "kafala" a la vie dure

Le système de parrainage controversé de la "kafala", considéré comme la cause de tous les abus contre les travailleurs migrants au Qatar, a la vie dure en dépit des promesses des autorités d'y mettre fin.

Alors que des informations la semaine dernière faisaient état de retards probables concernant l'abolition de la "kafala", le gouvernement, généralement silencieux sur la question, a utilisé lundi son nouveau service de communication pour tenter d'apaiser les craintes et réaffirmer que le changement était bien en route.

"Le Conseil des ministres va maintenant préparer le projet final de réforme de la loi sur la kafala, qui doit être achevé avant la fin de 2015", a assuré le gouvernement.

Le ministre du Travail et des Affaires sociales Abdallah ben Saleh al-Khulaïfi s'y était déjà engagé, mais de nombreuses organisations de défense des droits de l'Homme en doutent encore, alors que l'émirat s'enorgueillit d'organiser le Mondial-2022 de football.

"Je ne pense pas qu'il y ait la moindre chance de voir une annonce (sur l'abolition de la kafala) en 2015", a estimé Nicholas McGeehan, chercheur sur le Golfe de l'ONG Human Rights Watch.

Ce systèmes met les ouvriers étrangers à la merci d'employeurs en position de les empêcher de quitter le Qatar ou de changer d'emploi.

La date limite de décembre n'est pas la première annoncée par Doha.

En novembre, le ministère du Travail et des Affaires sociales avait indiqué qu'il ferait une annonce sur l'abolition de la "kafala" au début de 2015. Ce délai passé, le même ministère avait ensuite évoqué début mai.

Le dernier obstacle est venu la semaine dernière du puissant Conseil consultatif qui a mis en doute les réformes proposées, renvoyé le projet de loi devant une commission pour des "travaux supplémentaires" et a même suggéré des amendements controversés.

Cela a provoqué de nouvelles critiques de défenseurs des droits de l'Homme et de syndicalistes internationaux qui se sont interrogés sur l'engagement réel du Qatar à réformer ce système de parrainage.
L'épisode a démontré qu'en dépit des critiques, ce système continue d'avoir des partisans et des adversaires dans les cercles dirigeants du Qatar. En coulisse, il semble y avoir une lutte entre ceux qui veulent la réforme et ceux qui prônent la prudence.

"C'est une bataille entre des conservateurs et des ultraconservateurs", a commenté M. McGeehan.

Pour Michael Stephens, chercheur à l'institut britannique RUSI, la réforme est difficile "car il n'y a pas suffisamment de volonté de changement dans les milieux d'affaires".

'Empêcher des travailleurs de fuir'

Au centre des différends figurent les articles 7 et et 21 du nouveau projet de loi, révèle un avocat de renom du Qatar, Me Youssef Ahmed al-Zaman.

Actuellement, la "kafala" limite toute mobilité des travailleurs migrants et les deux articles proposent d'assouplir ces dispositions.

L'article 7 permettrait à chacun des 1,6 million de travailleurs de quitter le pays en informant le ministère de l'Intérieur et non son employeur, comme c'est le cas actuellement.

Le Conseil consultatif estime que cet article va trop loin et demande un compromis permettant à l'employeur d'avoir son mot à dire.

Le Conseil souhaite que "le travailleur informe son employeur lorsqu'il décide de quitter le pays, ce qui n'est pas trop demandé", déclare Me Zaman.

L'article 21 -que le Conseil conteste également- permettrait au travailleur de changer d'emploi sans le consentement de son patron.

Ceux qui ont des contrats à durée déterminée peuvent le faire à la fin de leur contrat et ceux qui ont des contrats flexibles peuvent le faire après cinq ans.

L'avocat pense que les objections du Conseil consultatif seront levées, ce qui permettra au Qatar de respecter l'échéance de 2015 pour changer la "kafala".

Au niveau international, les défenseurs de la réforme pensent avant tout aux travailleurs employés sur les gigantesques chantiers du Mondial-2022 de football.

Selon M. McGeehan, les résistances au Qatar peuvent aussi s'expliquer par les craintes de voir la nouvelle loi bouleverser le statut des employés de maison.

"Tous les Qataris ont des domestiques étrangers et, poussés malheureusement par la discrimination raciale qu'on voit dans le Golfe, ils estiment des mécanismes de contrôle nécessaires pour empêcher des travailleurs de fuir", explique-t-il.

30 juin 2015,

David HARDING

Source : AFP

Google+ Google+