samedi 23 novembre 2024 23:36

Migrants : « Chacun des 28 pays européens doit prendre sa part »

Les 25 et 26 juin, les chefs d’Etat et de gouvernement n’ont pas abouti à un accord sur la relocalisation de 40 000 réfugiés arrivés en Europe. Le sujet est à nouveau entre les mains des ministres de l’intérieur jeudi 9 juillet au Luxembourg. Qu’attendez-vous de cette réunion ?

J’attends d’abord qu’on revienne à la raison. Que se réinstaure une plus grande confiance entre les Etats dans leur capacité à respecter leurs obligations. L’Europe doit aujourd’hui faire face à une arrivée importante de demandeurs d’asile, certes, mais en aucun cas massive. Aujourd’hui, 86 % des personnes déplacées sur la planète vivent dans des pays en développement. Et en 2014, ce sont 42 500 personnes qui ont été déplacées quotidiennement par les guerres et violations des droits de l’homme. Réinstaller 20 000 réfugiés et relocaliser à partir de la Grèce et de l’Italie 40 000 personnes en deux ans sur un continent de 500 millions d’habitants me semble de l’ordre du possible.

D’accord mais les flux se sont encore intensifiés depuis 2014…

Quelque 219 000 personnes sont arrivées en bateau l’an dernier sur les côtes européennes. La moitié n’avaient pas vocation à obtenir l’asile. En 2015, nous comptabilisons 130 000 arrivées sur les six premiers mois : 78 000 sur les côtes grecques et le reste sur les côtes italiennes. Sur les flux arrivant en Grèce, 85 % nous semblent pouvoir prétendre au statut de réfugié compte tenu de leur origine. Ceux qui entrent aujourd’hui par l’Italie semblent être majoritairement des migrants économiques.

La mauvaise nouvelle dans ce que vous nous dites là, c’est que la Grèce est devenue la première terre d’entrée en Europe. Etant donné sa situation aujourd’hui dans l’Europe, êtes-vous inquiet ?

C’est effectivement une très mauvaise nouvelle, puisque le système de réception des demandeurs d’asile dans ce pays est quasi inexistant. La plupart des îles ont arrêté la prise d’empreintes digitales, l’enregistrement des demandes, et elles n’offrent pas d’hébergement. D’ailleurs, la capacité totale de premier accueil dans tout le pays est de l’ordre de 1 100 places ; ce qui n’a rien à voir avec les besoins. Pour comprendre, il suffit de mettre en lien cette donnée avec les 1 600 arrivées sur la seule île de Lesbos le week-end dernier !

Jusqu’à il y a quelques semaines, la Grèce prenait et enregistrait les empreintes digitales de chaque personne arrivée sur ses côtes, contrairement à la pratique en Italie. C’était même nécessaire pour avoir son laissez-passer et quitter les îles.

Aujourd’hui, ils ne le font plus. Mais l’Europe se doit de les aider à remettre en place un contrôle systématique, conformément aux obligations de tout pays européen. Aujourd’hui, ces entrées non contrôlées ont des répercutions en cascade sur tous les pays voisins. En quittant Athènes, les réfugiés et les migrants passent en Macédoine, puis en Serbie, et de là passent en Hongrie. Cette route des Balkans est devenue très dangereuse, un lieu de trafic humain et de violence. Et le Parlement hongrois a redit hier sa volonté de construire une barrière entre la Serbie et son territoire. Or nous l’avons vu entre la Grèce et la Bulgarie, les barrières et barbelés ne sont pas des solutions. Le lieu de passage se déplacera. C’est triste de penser qu’en 1956 le mur empêchait les citoyens hongrois persécutés de quitter leur pays en masse ; demain le nouveau « mur » empêchera d’autres réfugiés de trouver la sécurité sur leur territoire…

Si la Turquie contrôlait mieux ses frontières, l’Europe serait-elle moins sous pression ? D’ailleurs, elle a fait des efforts sur les cargos. Il n’y a plus eu de départ depuis Noël de cargos chargés de migrants à destination de l’Italie.

Ne jetons pas la pierre à la Turquie. Avec 1,8 million de réfugiés sur son territoire, c’est le premier pays du monde pour l’accueil des réfugiés. Quand nous ferons autant qu’elle, nous pourrons critiquer ! Mais je reconnais que s’ils ont jugulé les départs de gros bateaux, ils ne semblent pas pouvoir contrôler aussi bien les plus petites embarcations…

Si l’on écoute notre ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, les Italiens ne respectent pas le droit européen en matière de gestion des flux de migrants. Etes-vous d’accord avec cette analyse ?

Beaucoup de choses doivent êtres améliorées en Italie, par exemple l’identification systématique de toute personne sauvée en mer, des meilleures conditions de réception dans un système simplifié, un traitement plus efficace et accéléré des demandes d’asile. Mais surtout, l’Italie ne renvoie pratiquement aucun débouté du droit d’asile. C’est un vrai problème, car il ne peut nulle part y avoir de procédure d’asile qui fonctionne véritablement sans politique efficace de renvoi de ceux qui n’ont pas droit à cette protection. Et l’Italie n’est malheureusement pas une exception. Sans politique de renvoi efficace, les opinions publiques dans de nombreux pays européens ont du mal à faire la différence entre un réfugié et quelqu’un qui n’a pas besoin de protection internationale.

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Compte tenu de cet état des lieux, que faut-il pour que les discussions entre ministres de l’intérieur avancent jeudi ?

Il faut que la confiance se réinstalle entre les Etats européens. On parle de l’Italie, mais le blocage des migrants et demandeurs d’asile à Vintimille a eu lieu parce que la France n’a pas confiance totale dans la gestion italienne des arrivées à leur frontière maritime…

Tout comme Calais et les 3 000 migrants qui y stationnent sont le fruit de l’absence de confiance des Britanniques dans la politique migratoire menée par la France…

On peut effectivement voir des points communs entre ces deux situations. De nombreux pays européens pensent que les meilleures solutions sont dans les pays voisins… Plusieurs pays du sud de l’Europe demandent de la solidarité avant qu’on leur parle de responsabilité, compte tenu de leur position géographique. Les quelques pays du Nord qui sont les pays de réception de la majorité des demandeurs d’asile en Europe inversent la proposition. Il faut mettre fin à ce dialogue de sourds à travers une coopération pratique en mettant en œuvre toutes les composantes de l’agenda européen pour la migration.

C’est déjà cette impasse qui a empêché un accord sur la répartition obligatoire des 40 000 réfugiés. Comment en sort-on ?

D’une manière simple. On impose que chacun des 28 pays prenne sa part. Ce chiffre de 40 000 est un début très modeste. On attend les propositions de chaque Etat demain. Si on n’arrive pas à relocaliser les 40 000 réfugiés sur deux ans à partir de l’Italie et de la Grece, on a deux solutions. Soit on refait un tour de table et on commence d’une manière pratique avec les offres actuelles. Soit on demande à ceux qui ne veulent pas participer ou en prennent moins que ce que proposait la clé de répartition établie par la Commission européenne d’aider financièrement d’autres pays à accueillir à leur place, pour une période intérimaire leur permettant de se préparer à participer à ce programme commun de solidarité. Un tel système fut envisagé par l’Autriche en 1956, quand elle fut confrontée à l’arrivée de 200 000 réfugiés hongrois sur son territoire.

La France n’a pas été un modèle depuis que cette discussion s’est ouverte en mai, au lendemain du naufrage d’un bateau transportant 800 personnes. Que pensez-vous du cafouillage de la France avec ses quotas et sa discussion sur les paramètres de la clé de répartition ?

Je pense qu’il y a effectivement eu un peu de cafouillage en matière de communication, mais que la France essaie de tenir une position d’équilibre, se refusant à signer un chèque en blanc aux pays du Sud, mais indiquant sa volonté de participer aux efforts communs.

Quel serait le rôle du HCR au sein des dispositifs de premier accueil (« hotspots ») que l’Europe rêve de mettre en place dans les pays d’arrivée, où serait fait le tri entre migrants économiques à renvoyer tout de suite et demandeurs d’asile ?

En tant que HCR, nous sommes prêts à aider dans la mise en œuvre de ce projet et par exemple aider à gérer l’identification des cas plus vulnérables avec des besoins spécifiques. Par ailleurs, nous pourrions trouver des solutions autres que l’Europe pour des réfugiés ayant de la famille sur d’autres continents.

09.07.2015, Maryline Baumard

Source : Le Monde

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