Plus d’un millier de migrants subsahariens (ou supposés tels) ont été chassés de Tanger et Nador, depuis le début de l’année 2015. Partiellement efficaces – certains migrants ne reviennent jamais dans la région – ces opérations ont pour effet de renforcer la précarité des migrants.
Depuis le début de l’année, de 1200 à 2200 migrants subsahariens, selon les estimations, ont été arrêtés au nord du Maroc pour être déplacés vers le sud du pays. Après le millier de personnes chassées de Gourougou et des campements près de Nador, en février, près de 700 Subsahariens squatteurs (pour certains locataires) du logement qu’ils occupaient à Boukhalef, quartier excentré de Tanger, ou en situation irrégulière, ont été expulsés lundi 30 juin, hors de toute procédure légale. Quels objectifs et quelle efficacité ont ces arrestations, expulsions et déplacements forcés ?
Le 29 juin, le ministère de l’Intérieur a publié un communiqué de presse, exigeant que les logements squattés soient évacuées par leurs habitants. Selon lui, il s’agit seulement de faire respecter la loi. « Des ressortissants étrangers subsahariens ont envahi et occupé illégalement des appartements appartenant à autrui au quartier Al Irfane, relevant du district Boukhalef à la ville de Tanger […] Le respect de la propriété privée est garanti par la loi, que les autorités publiques sont dans l'obligation de faire respecter sous la supervision du parquet compétent », indique le communiqué.
Réduire la pression migratoire
Le 9 février 2015, lors du bilan officiel de l’opération exceptionnelle de régularisation, le ministre de l’Intérieur avait affirmé qu’il ne tolèrerait plus les campements de migrants aux abords des frontières. « Nous le faisons pour libérer les victimes de la traite », s’était-il alors justifié. Le lendemain, les forces de l’ordre rasaient la totalité des campements sauvages des migrants subsahariens dans la forêt de Gourougou, près de l’enclave de Mellila. Entre 1200 et 700 personnes étaient arrêtées, bientôt suivies de 200 à 300 autres arrêtés dans d’autres campements près de Nador.
Les intentions avancées par le ministère de l’Intérieur ne résistent pas à une analyse géopolitique de la situation. Depuis des années, l’Union européenne et plus particulièrement l’Espagne tente ‘d’externaliser des contrôles migratoires’. Elles cherchent à impliquer les pays de la rive sud de la Méditerranée dans leur lutte contre l’immigration irrégulière. Dans ce contexte, « la philosophie générale des autorités poursuivies lors de ces opérations est de réduire la pression migratoire qui s’exerce sur les frontières de l’Espagne », analyse Hicham Rachidi, président du Gadem, association de soutien aux droits des migrants. De fait, ces opérations ne sont pas suivies de l’expulsion des personnes vers leurs pays d’origine, mais de leur déplacement vers le sud du pays, loin des rives de la Méditerranée et des enclaves espagnoles.
Eglise catholique de Tanger
« Sur les 700 Subsahariens expulsés de leur logement, le 30 juin, on sait que près de 150 ont fui dans les forêts avoisinantes, qu’une autre partie, 100 personnes peut être, est montée dans des bus et a été conduite dans trois villes du sud marocain et ont commencé à être libérées. Ce sont tous des hommes, certains ont été séparés de leur famille. Une autre partie de ces 700 personnes a trouvé refuge à l’église de Tanger. Ils sont à présent moins d’une centaine », établit aujourd’hui Hicham Rachidi. "18 enfants et 8 femmes enceintes" se sont retrouvés à l'Eglise révèle la Plateforme des associations subsahariennes au Maroc.
Fait exceptionnel, le maire de Tanger, Fouad El Omari s’est rendu sur place pour apporter un soutien humanitaire à ces derniers. « Les associations Armid et les Rencontres méditerranéenne pours l’immigration et le développement, l’Eglise et le maire se mobilisent et ont commencé à trouver des solutions de relogement. Certains en ont déjà bénéficié dans des pensions de la médina notamment », ajoute le président du Gadem.
Revenues à Nador
En février, les 700 (selon les chiffres officiels) à 1500 personnes chassées des campements sauvages de Gourougou et de la campagne avoisinant Nador, en février dernier avaient été déplacées dans une dizaine de villes du Sud du pays, retenues plusieurs jours, avant d’être libérées. « Aujourd’hui, on constate que beaucoup d’entre elles sont revenues dans les campements à proximité de Nador, d’autres se sont installées sur Casablanca et Rabat quand elles y connaissaient quelqu’un parce que le harcèlement et les arrestations ni sont pas permanents comme ici », explique Hicham Arroud, membre de l’association Asticude.
Le grand campement de la forêt de Gourougou, le plus connu, a été totalement rasé et les passages des forces de l’ordre sont suffisamment réguliers pour qu’aucun migrant n’envisage plus de s’y installer. Par contre, certains se sont enfoncés plus profondément dans la forêt. « Globalement, ils sont tout de même bien moins nombreux qu’avant les arrestations de février », conclut Hicham Arroud.
Précarisation
Les deux opérations massives du premier semestre 2015 ont donc atteint leur but, a priori, puisqu’une partie des personnes éloignées de la frontière de l’Espagne n’y sont pas revenue – une partie seulement. Ces opérations n’ont pas permis d’empêcher cependant que 300 migrants tentent de franchir la barrière de Melilla mi-avril, puis 400 autres le 1er mai. La presse espagnole de Mellila se félicitait toutefois, le 6 juillet, que le Maroc soit parvenu à empêcher l’entrée de 30 immigrants. Il faudra attendre les chiffres annuels par enclaves pour mesurer l’efficacité des deux opérations répressives marocaines au regard de leurs véritables objectifs.
Chose certaine, elles ont avant tout pour effet de renforcer la précarité des migrants subsahariens en leur retirant leurs repères, en rendant plus dures leurs conditions de vie. A Tanger, de squatteurs ou de locataires certains deviennent sans domicile et vont vivre dans des campements de fortune. A Nador, quittant des campements organisés et établis, d’autres s’enfoncent plus profondément dans les forêts, loin de tout secours.
09.07.2015, Julie Chaudier
Source : yabiladi.com