dimanche 24 novembre 2024 00:01

Non, les migrants ne sont pas un fardeau !

C’est parce que l’extrême droite a réussi à imposer l’idée que l’immigration était un problème que les migrants sont rejetés par les Européens. Et si l’on changeait d’angle et qu’on y voyait plutôt une force ?

L’arrivée massive de migrants s’impose comme l’une des questions majeures dans l’Europe des années à venir. Les journaux s’affolent, les compteurs explosent, les bureaux d’études s’inquiètent : cette année, le nombre de migrants traversant la Méditerranée pour rejoindre l’Europe pourrait même atteindre le chiffre de 100 000. Cent mille personnes qui arrivent sur un territoire peuplé de 500 millions d’habitants… Et ce serait un problème que d’accueillir une personne pour 5000 habitants, dans l’Europe d’aujourd’hui ?

Si nous percevons cette question comme un problème, c’est parce que nous sommes aveuglés par les thèses des partis d’extrême droite. Depuis plusieurs décennies, ils ont réussi à instiller dans tous les esprits - y compris hélas dans ceux des hommes politiques de tous bords aveuglés par l’enjeu de court terme de la prochaine élection - une vision faussée des migrants, nourrie par la peur.

Que s’est-il donc passé au cours des trois dernières décennies pour que notre regard change à ce point ? Avons-nous oublié la mobilisation pour les boat people et la démarche conjointe, en juin 1979, des philosophes Sartre et Aron, réconciliés autour de cet enjeu, lorsqu’ils vinrent demander au président Giscard d’Estaing un accueil décent pour les réfugiés du Vietnam ?

Certes, la situation économique a bien changé depuis les années 70, et la montée du chômage de masse a contribué à alimenter la peur de l’immigration. Pourtant, craindre ainsi l’arrivée des migrants, c’est ignorer que, dans les sociétés modernes, les ressources ne sont pas un gâteau à partager, mais qu’elles sont bien plutôt créées par les hommes, à partir de leurs propres idées, de leurs propres inventions, de leurs propres besoins : les terres d’immigration sont bien souvent des terres d’avenir - que l’on songe à la Californie.

Non, les migrants ne viennent pas nous envahir, ni manger notre pain, ni prendre notre travail, ni piller nos ressources. Ce sont des êtres humains dignes, extraordinairement courageux, qui ont dû abandonner leur pays d’origine, face à la situation désespérée qui y a été créée par la guerre ; ce sont donc très majoritairement des hommes et des femmes confiants dans nos démocraties, et des adversaires résolus de ces obscurantistes qui, chez eux, alimentent les conflits qui les font fuir. De plus, à l’instar des précédentes générations de migrants qui ont enrichi notre pays au cours des siècles précédents, ils représentent, pour l’Europe de 2050, un immense potentiel d’idées, de volontés, d’énergies et de ressources. Est-il besoin de rappeler le nom de tous ces immigrés qui ont construit la France d’aujourd’hui et dont la liste prendrait des volumes ? On y trouve des scientifiques comme Marie Curie, Georges Charpak, Alexandre Grothendieck, des écrivains tels que Samuel Beckett ou Milan Kundera, des artistes comme Pablo Picasso ou Marc Chagall, sans parler des chefs d’industrie, des sportifs, des hommes politiques, et tous ceux qui, sans faire la une des journaux, ont su créer leur propre territoire d’insertion.

Les chercheurs le savent bien : face à une question difficile, c’est bien souvent grâce à une modification radicale de l’angle d’approche que commence à naître une voie vers la solution. Ainsi, modifier le regard que nous portons sur ces migrants, et considérer qu’ils ne sont pas un fardeau à subir ou à partager, mais bien plutôt une force pour l’Europe, tel me semble être le point de départ indispensable aujourd’hui. Alors, seulement, pourra être initiée la complexe mise en place de structures d’accueil pour ces hommes et ces femmes, en leur faisant confiance, en les laissant travailler et s’organiser. C’est en éliminant cette vision faussée sur l’immigration - tel un poison qui a pénétré à notre insu au cœur des pays européens - que nous ouvrirons un futur à nos sociétés. Ainsi peut-être parviendrons-nous alors à leur donner à nouveau un sens et redeviendrons-nous également un peu plus humains. Il y a urgence.

13 juillet 2015, Marc Mézard

Source : Libération

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