En l’espace de quelques mois, la Hongrie est devenue l’une des principales portes d’entrée dans l’Union européenne. Le gouvernement hongrois veut construire une clôture sur la frontière et les renvoyer vers la Serbie les migrants.
La nuit tombe sur la briqueterie abandonnée de Subotica, au nord de la Serbie, à dix kilomètres de la frontière hongroise. Hassan, un migrant pakistanais de 27 ans, répartit ses pairs en deux groupes : ceux qui passeront ce soir en Hongrie – et entreront ainsi dans l’espace Schengen en toute illégalité – et ceux qui resteront une nuit de plus dans ce camp informel.
Une cinquantaine de migrants se mettent en route vers un champ de maïs, sac au dos, en silence. Seul le chef de groupe consulte le GPS de son smartphone, pointant vers la frontière hongroise qu’il espère rejoindre dans huit heures.
But de l’opération : ne pas attirer l’attention de la police hongroise, qui veille sur la porte d’entrée de l’Union européenne désormais la plus fréquentée avec le sud de l’Italie, selon Frontex, l’agence chargée de la surveillance des frontières extérieures de l’UE. Si malgré leurs efforts, ces clandestins sont arrêtés par la police hongroise, ils devront déposer leur demande d’asile et leurs empreintes digitales iront enrichir la base de données du système de Dublin, réglementant l’accès au sein de l’UE.
81000 entrées illégales
Depuis janvier, la Hongrie a enregistré plus de 81 000 entrées illégales sur son sol, soit quatre fois plus qu’en 2014 et quarante fois plus qu’en 2012. Après les migrants kosovars, ce sont désormais à 75 % des Syriens, des Irakiens et des Afghans.
Le pays reste pour autant un sas de transit, d’où 90 % des migrants rejoignent l’Europe de l’Ouest ou du Nord en quelques jours, sans grand obstacle via l’espace Schengen. Mais la tendance inquiète le gouvernement conservateur de Viktor Orbán qui a pris la décision fin juin, de clôturer ses 175 km de frontière sud avec la Serbie. Le projet a reçu l’aval du parlement hongrois le 6 juillet. L’opération n’en est qu’à sa phase de test. Le but est de finir la construction fin novembre.
Amalgame entre immigration et « terrorisme »
« Nous sommes déjà au maximum de nos capacités d’accueil, affirme le porte-parole du gouvernement hongrois Zoltán Kovács. Or la Hongrie reçoit bien moins de financements européens que la zone méditerranéenne. Nous ne pouvons plus attendre. Cette clôture de quatre mètres de haut est une solution temporaire. »
Les autorités de Budapest veulent permettre un éventuel renvoi de l’autre côté de la frontière des demandeurs d’asile passés par la Serbie. Elles ont déjà modifié leur législation dans ce sens.
Ce raidissement des autorités s’inscrit dans la logique des propos tenus par le gouvernement hongrois depuis les attentats de Charlie Hebdo en janvier. En mai, le cabinet de Viktor Orbán lançait une consultation nationale sur « l’immigration et le terrorisme », sous forme de questionnaire envoyé aux huit millions d’électeurs, accompagné d’une lettre du premier ministre, fustigeant l’incapacité « de Bruxelles » en matière de prévention de l’immigration. Une initiative critiquée par le Haut-Commissariat aux réfugiés de l’ONU comme par l’UE.
Installer des camps provisoires
Pour mieux s’assurer d’une réponse favorable, le gouvernement a investi un million d’euros dans une campagne d’affichage placardant notamment le message suivant, en hongrois : « Si tu viens en Hongrie, tu ne peux pas prendre le travail des Hongrois. »
László Agócs, retraité budapestois de 77 ans, et ancien combattant de la révolution de 1956, écrasée par l’URSS, ne croit pas à la réalisation de la clôture, trop coûteuse. « Elle me rappelle de mauvais souvenirs. Aurait-on oublié qu’en 1956, des milliers de Hongrois ont fui le pays ? C’est vrai qu’aujourd’hui les autorités sont prises de court. Et les échauffourées se multiplient dans les camps de réfugiés. »
La semaine dernière, le gouvernement a annoncé qu’il allait fermer ses quatre camps permanents, situés en zone urbaine, et mettre en place des camps de tentes provisoires en dehors des agglomérations. à Subotica, Ehassanyllah Safi, un Afghan de 22 ans, sourit à l’évocation d’une clôture : « J’ai franchi celle qui sépare la Turquie de la Bulgarie : on s’est procuré une échelle et on a sauté de l’autre côté ! »
22/7/15, Hélène Bienvenu
Source :La Croix