samedi 23 novembre 2024 21:07

« Migrants », « réfugiés », « exilés », les mots de la crise migratoire

Plusieurs médias et ONG s’interrogent sur l’utilisation du terme « migrant » pour parler des étrangers qui arrivent massivement aux frontières de l’Europe. Réfugié, demandeur d’asile, exilé… Analyse des mots qui cachent parfois des réalités très différentes et qui prêtent à confusion, parfois même sur le terrain.

Un canot pneumatique conduit par des hommes en uniforme. Et, accroché à un filin qui fait le lien entre une bouée lancée à la mer et le bateau, un homme noir, le visage déformé par l’effort, s’accroche à la cordelette des deux mains dans un effort ultime pour ne pas se noyer. La photo fait la Une d’un magazine édité par le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) en 2007.

« Migrant ou réfugié ? », titrait le journal. « Quelle que soit l’identité de cet homme, il mérite d’être sauvé », répond l’éditorialiste dans les pages intérieures. La question posée il y a près de neuf ans est toujours d’actualité. Elle se pose en Australie, où arrivent des milliers d’Asiatiques poussés par la pauvreté et les effets du réchauffement climatique, ou encore à la frontière entre les États-Unis et le Mexique.
Le débat monte aussi en Europe après l’arrivée massive depuis plusieurs mois d’étrangers aux frontières de l’espace Schengen. Entre janvier et août, plus de 330 000 femmes, hommes et enfants ont traversé la Méditerranée, selon les chiffres du HCR. Et des milliers d’autres tentent le passage par les frontières est de l’espace Schengen. Comment nommer ces étrangers qui, pour la plupart, fuient des pays en guerre ou touchés par des crises politiques majeures ? Faut-il parler de « réfugiés », de « migrants », de « clandestins » ?

Cette querelle sémantique a son importance dans le débat public. Parce que l’usage d’un mot ou d’un autre compte, la Croix se penche sur les définitions utilisées par les médias et, de plus en plus, par les politiques.

Petit lexique de l’asile

« Étranger » : Individu n’ayant pas la nationalité de l’État considéré.

« Migrant » : Le terme qualifie une personne qui se déplace d’un pays à un autre. Son usage est jugé comme inadapté par certains journalistes et ONG pour qualifier les étrangers qui cherchent à émigrer massivement en Europe ces derniers mois.

« Réfugié »:Personne qui, « craignant avec raison d’être persécutée (…) se trouve hors du pays dont elle a la nationalité ». Ce statut défini par la Convention de Genève donne droit à la protection du pays qui l’accorde.

« Demandeur d’asile »: Personne demandant à obtenir son admission sur le territoire d’un État en qualité de réfugié et attendant que les autorités compétentes statuent sur sa requête.

« Exilé »:L’exilé a, volontairement ou non, quitté sa patrie, sous la contrainte d’un bannissement ou d’une déportation, l’impossibilité de survivre ou la menace d’une persécution.

« Expatrié »: Un expatrié est un individu résidant dans un autre pays que le sien. La définition est très large, mais le terme est utilisé principalement pour les ressortissants de pays du Nord qui travaillent à l’étranger.

[ MIGRANT ]

Que signifie précisément le terme de « migrant », qui a remplacé ces dernières années celui d’« immigré », « immigrant » ou « clandestin » ?

Le terme ne renvoie à aucun concept juridique. Le migrant, nous apprend le dictionnaire, effectue une migration volontaire pour des raisons économiques, politiques ou culturelles d’un pays à un autre. Ce terme général et commode est largement repris par les médias et les politiques pour qualifier les étrangers qui arrivent en Europe. Mais il cache des réalités complexes et a de plus en plus une connotation négative.

À tel point que le journaliste d’Al-Jazira Barry Malone dénonce son usage dans un manifeste publié le 20 août sur son blog hébergé par le site de la chaîne qatarienne. « Ce terme général de migrant n’est plus adapté quand il s’agit de décrire l’horreur qui se déroule en Méditerranée, écrit-il. Il a évolué depuis sa définition dans le dictionnaire à un outil qui déshumanise et qui met à distance, clairement péjoratif. »
En l’utilisant, pense le journaliste irlandais, dont la rédaction a désormais pris le parti d’utiliser le terme « réfugié », on « contribue à créer un environnement » dans lequel « les discours de haine et le racisme à peine voilé peuvent prospérer ».

Un passager saute d’un bateau au large de la Libye le 6 août 2015. Le choix de plusieurs centaines de milliers de migrants d'accéder à l'Europe par la mer, la plupart du temps sur des bateaux inadaptés et surchargés, provoque des drames. Plus de 2600 personnes sont mortes en tentant la traversée de la Méditerrannée depuis le début de l’année.

 RÉFUGIÉ 

Tous les réfugiés sont des migrants. Mais l’inverse n’est pas vrai. Si le statut de migrant relève du droit national, celui de réfugié est défini par la Convention de Genève, signée en 1951 et ratifiée par 145 des États membres des Nations unies.

Est reconnu comme réfugié une personne « qui, craignant avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité, et qui ne peut ou, du fait de cette crainte ne veut, se réclamer de la protection de ce pays », précise le texte.

 [ DEMANDEUR D’ASILE ]

Avant d’obtenir le statut de réfugié, les migrants doivent en faire la demande de manière individuelle au pays dans lesquels ils ont émigré. Ils sont alors demandeurs d’asile. Pour autant, dans le cas d’une émigration massive en raison d’une guerre ou d’une crise humanitaire, les groupes de migrants doivent être considérés comme des réfugiés « prima facie », note le Haut-Commissariat aux réfugiés .

Ainsi définie, l’appellation « réfugiés » devrait être retenue notamment pour les nombreux Syriens qui fuient leur pays en guerre, insiste le HCR, ou encore pour les Afghans fuyant l’insécurité chronique ou les Érythréens, menacés par un régime répressif.

Pourtant, le plus souvent, si ces réfugiés sont considérés comme tels lorsqu’ils parviennent dans des pays voisins du leur, ils seront qualifiés de « migrants » à leur arrivée aux portes de l’Europe.

Cet amalgame vient du fait que réfugiés et migrants empruntent souvent les mêmes itinéraires. Ils ont recours aux services des mêmes passeurs pour tenter d’atteindre les mêmes pays. Ils forment ainsi ce que les spécialistes de la question appellent des « mouvements migratoires mixtes. »

Comme le rappelait déjà il y a presque 10 ans le HCR dans son magazine : « Certains requérants d’asile sans papiers sont des réfugiés, alors que d’autres requérants se déplaçant avec des titres de voyage en règle n’en font absolument pas partie. Il y a des gens capables de raconter avec conviction une histoire inventée de toutes pièces, et d’autres racontant mal une histoire vraie, voire pas du tout (car elle est trop douloureuse ou personnelle). » Quel qualificatif alors utiliser ? Faut-il parler de « réfugiés potentiels », de « migrants supposés » ?

 EXILÉ]

Dans le mouvement migratoire actuel, l’immense majorité des étrangers qui arrivent en Europe sont originaires de Syrie, d’Afghanistan, du Nigeria et du Pakistan. « Ils fuient la guerre et la répression et relèvent d’un besoin de protection internationale, note le Secours catholique dans un rapport sur la situation des migrants à Calais, Il est ainsi plus juste d’employer le mot "exilé" plutôt que le terme "migrant" ».
Ce terme est également jugé plus neutre par l’Acat (Chrétiens pour l’abolition de la torture). « Le terme "migrant" diffuse l’idée d’un choix, et présente cela sous l’angle de la gestion des flux, que l’on doit maîtriser, estime Ève Shahshahani, responsable des programmes asile à l’association interrogée par l’AFP.  Avec le terme d’« exilé », « on comprend qu’on n’a pas eu le choix, que ce soit économique ou politique. »

 AFFLUX  

David Cameron a été beaucoup critiqué en juillet 2015 pour avoir évoqué une « nuée de migrants traversant la Méditerranée à la recherche d’une vie meilleure ». La connotation négative associée au terme « migrant » s’explique aussi par l’importance des arrivées.

« C’est la plus grave crise d’asile depuis la Seconde guerre mondiale, rappelle l’historien de l’immigration au CNRS Patrick Weil à La Croix. Elle est bien plus grave que celle que l’on a connue dans la décennie 90 lorsque les guerres de l’ex-Yougoslavie avaient provoqué de vastes mouvements de populations, mais sur des territoires circonscrits. »

« Les milliers de personnes qui se pressent cet été aux portes de l’Europe ne sont pas des migrants indéfinis, note pour sa part le chercheur belge Marco Martiniello sur son blog. Ce sont des réfugiés comme nos grands-parents qui fuyaient la Belgique pour échapper aux Nazis. La politique à leur égard ne peut pas être une politique migratoire reposant sur leur éventuelle contribution à notre développement économique. Il s’agit d’une question éminemment humanitaire et politique. »

6/0/2015, Julien Duriez

Source : La Croix

Google+ Google+