Les dirigeants européens multiplient les annonces sur l’accueil des réfugiés depuis jeudi, mais peinent à s’exprimer à l’unisson.
Les morts s’enchaînent, les chiffres valsent. La crise des migrants, parmi lesquels une grande part de réfugiés potentiels, pousse les dirigeants européens à agir. Et à adapter des dispositifs jugés obsolètes. Jeudi, le couple franco-allemand a fait part de sa volonté de mettre en place un mécanisme «permanent» et «obligatoire» de répartition des réfugiés au sein de l’Union. François Hollande prend bien soin de ne pas utiliser le mot «quotas», qui avait hystérisé le débat public en France au printemps. Mais c’est bien de cela qu’il s’agit. La Commission européenne, de son côté, propose de «relocaliser» 120 000 demandeurs d’asile arrivés en Italie, Grèce et Hongrie, et dont un examen rapide des situations devra mettre au jour leur besoin manifeste de protection. Dit autrement : les ressortissants de pays en guerre ou dictatoriaux (Syrie, Irak, Afghanistan, Erythrée) en seront les premiers et principaux bénéficiaires.
«Pré-tri». Ces deux annonces, si elles aboutissent, constitueraient un progrès par rapport à l’accord conclu en juillet. A l’époque, les partenaires européens n’avaient pu se mettre d’accord que sur une aide apportée à 54 000 personnes - réfugiés et demandeurs d’asile -, sur la simple base du volontariat des pays. L’Allemagne et la France avaient assumé une bonne part de l’effort. Pourtant, confie une source officielle française, «ces mesures ne suffisent plus aujourd’hui». Leur effectivité même reste sujette à caution. Faute d’avoir pu repérer et orienter les demandeurs d’asile, la «relocalisation» de 32 000 personnes n’a que très peu été réalisée.
L’enjeu pour les partenaires européens est de s’accorder sur la création de «hotspots», des centres d’accueil et de tri, dans les pays situés aux frontières de l’UE (Italie, Grèce et, désormais, Hongrie). Le premier doit ouvrir ses portes fin septembre à Catane, en Sicile. D’autres devraient suivre d’ici la fin de l’année. C’est dans ces lieux que l’Europe espère accueillir «dignement» les migrants, pour quelques mois, et examiner les situations de chacun. Avec deux objectifs : répartir les demandeurs d’asile légitimes au sein de l’Union, et «raccompagner» les «migrants irréguliers» vers leur pays d’origine, ainsi qu’on l’explique à l’Elysée. Une petite révolution : actuellement, les Etats membres traitent eux-mêmes les demandes, au cas par cas. Ce «pré-tri» mobilisera de nouvelles ressources, humaines et budgétaires. Des agents de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) seraient dépêchés aux frontières de l’Union européenne.
Risques. Les associations ne manqueront pas d’attirer l’attention sur la nécessité d’un examen complet et approfondi des situations individuelles des migrants, qu’ils viennent de Syrie ou d’Afrique de l’Ouest, par exemple. Autre préoccupation : les migrants considérés comme «économiques» ne risquent-ils pas de fuir ces «hotspots» et de prendre davantage de risques pour rejoindre l’Europe ? D’autres questions restent en suspens. Sur les 120 000 personnes à répartir, d’abord. 230 000 hommes, femmes et enfants ont gagné la seule Grèce depuis le début de l’année, et le flux ne cesse de s’accélérer. L’effort de répartition proposé par la Commission européenne, s’il est louable, reste donc insuffisant si on le compare aux évaluations du Haut Commissaire de l’ONU pour les réfugiés (HCR) : António Guterres a appelé vendredi à la répartition d’au moins 200 000 demandeurs d’asile dans l’Union européenne.
Ensuite, l’idée d’un mécanisme «permanent» et «obligatoire» est loin d’être partagée par l’ensemble des partenaires européens. Les pays de l’Est, notamment, l’avaient balayée d’un revers de main il y a deux mois. Côté français, on veut croire que le débat «s’ouvre peu à peu». A voir. Vendredi, le Parlement hongrois a voté en urgence une nouvelle législation antimigrants. Le Premier ministre populiste et conservateur Viktor Orbán a estimé que «si nous ne protégeons pas nos frontières, des dizaines de millions de migrants continueront de venir en Europe» et, un jour, «nous serons une minorité dans notre propre continent». A Bruxelles, on s’active pour faire passer la pilule : un pays qui, pour des raisons «objectives» - lesquelles seront appréciées par la Commission -, ne peut pas participer à ce système, pourrait en être dispensé durant un an. En échange, il devrait payer une contribution au fonds d’urgence européen pour les migrations.
Parallèlement, Berlin et Paris formulent d’autres propositions pour tarir le flux de migrants vers l’Europe. Il s’agit notamment d’harmoniser les listes de pays considérés comme «sûrs», afin de limiter les demandes d’asile venant des Balkans, qui représentent 40 % du total en Allemagne.
4 septembre 2015, Sylvain Mouillard et Jean Quatremer (à Bruxelles)
Source : Libération.fr
Un nombre record de migrants affluent en Allemagne, chaleureusement accueillis
Frank ZELLER, Coralie FEBVRE
Un nombre record de migrants sont encore arrivés dimanche en Allemagne sous les vivats et les chants, au terme d'un périple semé d'embûches à travers l'Europe, Berlin et Vienne prévenant cependant que la situation devait rester "temporaire" et exceptionnelle.
La police allemande avait recensé en fin d'après-midi 14.000 nouveaux arrivants venus d'Autriche sur l'ensemble du week-end, dont une majorité de Syriens fuyant la guerre, et en attendait 3.000 de plus dimanche soir.
Cette question devrait encore dominer l'agenda politique européen lundi, avec une rencontre entre la chancelière allemande Angela Merkel et le Premier ministre serbe Aleksandar Vucic à Berlin, et une rencontre entre le commissaire européen chargé de l'Immigration Dimitris Avramopoulos et des responsables autrichiens à Vienne.
Le sujet sera également abordé lors de la conférence de presse semestrielle du président français François Hollande.
Bloqués en Hongrie dans des conditions chaotiques, après avoir traversé la Méditerranée puis les Balkans, les demandeurs d'asile arrivés pendant le week-end en Allemagne ont transité par l'Autriche avant d'affluer dans les gares allemandes, partout accueillis par des pancartes "Bienvenue !"
"Les gens nous traitent tellement bien ici, ils nous traitent comme des êtres humains, ce n'est pas comme en Syrie", confiait à Munich (sud) Mohammad, un réfugié de 32 ans de la ville syrienne dévastée de Qousseir, les larmes aux yeux.
Toute la journée, les quais de la gare bavaroise ont reçu des centaines d'hommes, de femmes et d'enfants épuisés par leur périple, aussitôt dirigés vers des tables chargées de vêtements et de nourriture puis emmenés, par bus, vers les centres de premier accueil.
Débarqués d'un wagon, deux garçons de 7 ou 8 ans, torse bombé et visage illuminé d'un large sourire, fendaient la foule au milieu des applaudissements. Un peu plus tôt, une femme avait glissé à une famille syrienne un sac rempli de chocolats, de jouets et d'"un peu d'argent".
A Francfort (ouest), dans la nuit de samedi à dimanche, chaque train était salué par des vivats, pendant qu'un comité d'accueil fourni chantait "Voilà la solidarité internationale !" ou "Dites-le haut et fort, les réfugiés sont les bienvenus ici !"
L'Autriche, terre de transit
Lara Sabbagh, bénévole venue comme traductrice, devait même écarter les badauds souhaitant immortaliser la scène. Les réfugiés "ont peur (...) Ils m'ont demandé: +Que font ces gens ? Que veulent-ils ?+ Ils n'ont pas compris qu'ils étaient venus les accueillir", expliquait-elle.
Alors que l'Europe, divisée, connaît une de ses pires crises migratoires depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'Allemagne a assoupli ses règles d'accueil pour les ressortissants syriens, renonçant à les renvoyer vers leur point d'entrée en Europe.
En concertation avec Berlin, l'Autriche a de son côté accepté dans la nuit de vendredi à samedi d'accueillir et de transférer vers l'Allemagne les milliers de migrants coincés en Hongrie, qui a vu affluer quelque 50.000 personnes pour le seul mois d'août.
Mais cette décision ne peut être que "temporaire", a prévenu le chancelier autrichien Werner Faymann.
La chancelière allemande Angela Merkel et le Premier ministre hongrois Viktor Orban sont de même convenus que les deux pays devaient "respecter leurs obligations européennes" et que le flux observé ce week-end était exceptionnel.
Sur les 15.000 personnes arrivées en Autriche ces dernières 48 heures, seules 90 y ont déposé une demande d'asile, a indiqué le ministère autrichien de l'Intérieur dimanche soir, donnant la mesure de l'attrait qu'exerce l'Allemagne, première puissance européenne.
En Hongrie, le trafic ferroviaire a été pleinement rétabli dimanche pour les réfugiés, qui ne sont plus contraints d'arpenter à pied routes et autoroutes vers l'Autriche.
En Méditerranée aussi, les arrivées par centaines en provenance des côtes turques proches se poursuivent à un rythme soutenu sur les îles grecques d'Egée orientale. Des renforts policiers et l'armée ont dû être mobilisés dimanche sur l'île égéenne de Lesbos, où deux attaques au cocktail Molotov ont visé des Syriens dans la nuit.
'Forteresse chrétienne'
Les initiatives solidaires se sont multipliées en Europe, alors que le calvaire de 71 migrants morts étouffés dans un camion en Autriche, puis les images du petit Aylan noyé et échoué sur une plage turque, ont déclenché une vague d'émotion et poussé certains dirigeants à changer de discours.
A Vienne, un convoi d'une cinquantaine de voitures particulières est parti à la mi-journée à la suite d'un appel sur les réseaux sociaux pour tenter d'acheminer des migrants depuis la Hongrie.
Le pape François a souhaité dimanche, à l'occasion de la prière de l'Angélus au Vatican, que "chaque paroisse, chaque communauté religieuse, chaque monastère, chaque sanctuaire d'Europe accueille une famille". Il a proposé que les deux paroisses du Vatican commencent cet élan de solidarité chrétienne.
Le Haut-commissariat aux réfugiés (HCR) a demandé la répartition d'au moins 200.000 demandeurs d'asile dans l'UE, alors que la Commission européenne va proposer la semaine prochaine la répartition de 120.000 réfugiés.
"Avec 4.000 arrivées de réfugiés par jour actuellement en Europe (...) le système est devenu chaotique, rien n'est en place pour permettre que cela puisse être géré de façon efficace et humaine", a estimé le chef du HCR, Antonio Guterres, appelant à la mise en place de "centres de réception efficaces là où les gens arrivent" en Grèce, en Hongrie et en Italie.
"C'est un problème très sérieux (...), mais, à l'échelle de la planète, ce n'est pas une des plus grandes crises", a encore observé le patron du HCR, relevant que 86% des réfugiés étaient dans les pays en voie de développement.
Le Premier ministre turc, Ahmed Davutoglu, a fustigé l'Europe comme "une forteresse chrétienne", vu le faible nombre de réfugiés accueillis alors que la Turquie en a accepté deux millions en provenance de Syrie et d'Irak.
7 sept 2015
Source : AFP
| 07:16 (Il y a 1 heure) | |||
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