Ils sont en situation irrégulière, souvent sans papiers, mais jamais sans droits. Le cri de détresse des réfugiés poussés par milliers vers le chemin de l'exil pour fuir la violence aveugle a lourdement pesé sur le Conseil des droits de l'Homme, réuni à Genève pour sa 30e session.
Devant une salle archicomble, le Haut-commissaire aux droits de l'Homme, le Jordanien Zeid Al-Hussein, n'a pas hésité à dire sa "colère" et sa "frustration" eu égard à l'ampleur de la misère humaine que l'ONU ne parvient plus à alléger.
Sans les nommer, il a instamment invité les pays du Vieux-Continent à en finir avec les réactions de panique et à tirer les leçons des scènes de souffrance endurée par les migrants aux frontières de l'Europe. A lui seul, le souvenir amer de l'enfant syrien Aylan retrouvé sans vie sur une plage turque rappelle à chaque instant l'échec lamentable de la communauté internationale à venir en aide aux Syriens, a-t-il dit.
"Endormi, incurable, si profondément triste et ses chaussettes et ses petits souliers nous disaient qu'il était prêt à vivre à nouveau. Mais sa joue sur le sable doux murmurait le contraire : elle nous a fait éclater en sanglots", déplore-t-il.
Le cri des réfugiés est décidément en train de faire voler en éclats le cadre vieillot par lequel l'Union européenne entendait se mettre à l'abri du monde extérieur et garder à distance ces trouble-fêtes.
Dans les faits, des centaines de milliers de réfugiés syriens, irakiens ou afghans jusque-là invisibles n'ont guère disparu, mais ils ont conquis le cœur de l'Europe grâce à l'appui, tardif mais décisif, de la chancelière allemande Angela Merkel.
La peur des flots de réfugiés semble toutefois prendre une ampleur jamais vue dans les pays les plus exposés. L'Italie, en première ligne face au "chaos de la migration", cherche à mobiliser l'ONU pour tenter de mettre les groupes extrémistes hors d'état de nuire et ramener la paix dans les pays en proie aux terroristes.
"L'organisation terroriste gagne du terrain et menace même d'envoyer des milliers de personnes supplémentaires vers l'Europe", estime le directeur de l'Institut des Affaires internationales de Rome, Ettore Greco, tout en relevant qu'"il n'y a tout simplement pas de paix à maintenir".
Entre-temps, sur la route ouverte des réfugiés, les murs réapparaissent mettant à mal, comme jamais, l'espace commun Schengen et plongeant les pays membres dans la défiance générale et des désaccords sans fin.
Pour le rapporteur spécial de l'ONU sur les droits des migrants François Crépeau, la politique européenne est "tout simplement aberrante" : les pays d'Europe sont "dans le déni total" face aux centaines de milliers de personnes qui font la traversée de la Méditerranée.
"Empêcher l'immigration est impossible, car les frontières sont poreuses. Les autorités en sont conscientes mais n'osent pas le dire", a-t-il lancé lors d'un débat en marge des travaux du CDH.
L'expert international s'élève contre les discours nationalistes populistes qui "présentent les pays comme des maisons dont on pourrait fermer les portes et les fenêtres". C'est une image trompeuse parce que, selon lui, un pays est plutôt comme une ville où on peut difficilement bloquer toute entrée.
M. Crépeau explique que les Etats, en voulant prohiber le flux naturel des gens, ont créé en fait un vaste marché de passeurs sans foi ni loi. "Au lieu d'interdire, il vaut mieux légaliser et réglementer. "Nos sociétés ont besoin de cette mobilité humaine et il faut justement que les travailleurs se déplacent vers des espace où des emplois sont assuré, la dignité et les droits préservés", a-t-il dit.
D'après l'Agence européenne Frontex, 500.000 migrants ont traversé les frontières extérieures de l'UE entre janvier et août de cette année, contre 280.000 pour l'ensemble de 2014. Cette vive pression migratoire divise les Etats membres sur la question des quotas de répartition et suscite plus d'une question sur la donne démographique de l'Europe de demain.
17 sept. 2015,Abdellah CHAHBOUN
Source : MAP