"Les familles sont passées. Il reste cinq places dans le bus !" A cette annonce d'un interprète, la foire d'empoigne commence derrière les barrières du poste-frontière de Bregana, qui barre le chemin de la Slovénie.
Déjà bien tassés contre les rambardes, les hommes seuls -âgés pour la plupart entre 20 et 40 ans- poussent encore, tendent les bras et interpellent Jamal et Wahel, les deux interprètes arabophones dont tous connaissent désormais le nom.
"Ca fait trois jours que je suis là !", lance un homme aux tempes grisonnantes. "Irakien !" crie un autre, en espérant que sa nationalité sera un sésame pour entrer dans l'espace Schengen.
Face à eux, le regard droit, les policiers slovènes en casques et boucliers guettent tout débordement. Ils repoussent fermement mais sans violence les fougueux qui tentent de passer par-dessus les barrières.
Dimanche, après une nuit sous la pluie -la première de leur exode pour la plupart- les familles ont été évacuées en priorité. La veille, une dizaine de bus avaient déjà emmené des personnes dans la désorganisation, et beaucoup d'entre elles sont restés.
Quand, dès 07H30 (05H30 GMT), les migrants ont convergé vers les barrières dans l'espoir d'être parmi les premiers à acccéder à un éventuel bus, les associations présentes ont fait passer le mot: les familles, les femmes et les enfants, pourront passer par une partie spécifique de la barrière qui délimite le poste-frontière.
La quasi-totalité partira par les trois bus qui quittent successivement les lieux avant le début d'après-midi.
Sympathie, exaspération, frustration
Les sortants franchissent le cordon policier avec un grand sourire, puis partagent leur soulagement en embrassades. Certains se retournent pour s'assurer que leurs femmes ou enfants suivent, et reviennent sur leurs pas les appeler quand ce n'est pas le cas.
De l'autre côté des barrières, on applaudit d'abord ces heureux élus qui ont réussi à franchir la frontière. Mais au gré des évacuations, la sympathie laisse place à la frustration et à l'exaspération.
"Il y a une femme et dix personnes avec elle, ils ne sont pas tous de la même famille ! Il faut contrôler les identités !" peste Mostafa, un ingénieur dans le bâtiment irakien.
Il observe la bousculade entre hommes qui s'ensuit. "Ils sont comme des animaux. Rien n'est organisé", soupire-t-il. "Qu'est-ce qu'il faut que je fasse pour passer ? Que je me casse une jambe ?", lance un colosse barbu.
"Ca fait quatre heures que j'attends debout mais je ne peux pas m'éloigner sinon je perds ma place", explique Mohamed, un étudiant en médecine syrien de 22 ans originaire de Homs. Le temps de la phrase, un jeune homme s'est glissé entre lui et son ami, déclenchant une altercation.
Mazin, un Irakien de 60 ans qui montre son crâne enfoncé par des coups de crosse, préfère rester assis à l'écart, résigné.
"Je suis un vieil homme, je ne peux pas aller dans cette cohue", confie ce chrétien qui a quitté son hôtel-restaurant à Bagdad en août. "J'attendrai qu'il y ait moins de monde pour passer du bon côté de la barrière".
Avec la bienveillance des plus jeunes, on lui fraiera finalement un chemin et il attendra l'évacuation suivante, assuré d'être du "bon côté", celui de l'espace Schengen.
20 sept. 2015,Simon VALMARY
Source : AFP