Économie forte et chômage faible, le pays d'Angela Merkel séduit les demandeurs d'asile : ils devraient être entre 800 000 et 1 million à s'y installer cette année. Un casse-tête pour les autorités.
En attendant la distribution de nourriture dans un centre social de Berlin, un petit groupe d’hommes discute. Malgré le crachin, ils sont contents. « Nous sommes en Allemagne, enfin ! se réjouit Ahmed, arrivé il y a deux semaines. Nous avons choisi ce pays parce qu’il y a du travail. » Pour les milliers de migrants qui mettent le pied en Europe, l’Allemagne fait figure d’eldorado, loin devant la Suède, le Royaume-Uni ou la France. Son économie est forte, le chômage y est faible (6 %), et il se murmure que la bureaucratie y est moins lourde qu’ailleurs. En tout cas, le droit d’asile y est accordé rapidement. C’est le cas pour les Syriens, qui bénéficient d’une procédure d’examen qui ne dure que quelques semaines. Pour les autres nationalités, en revanche, le délai moyen peut aller jusqu’à deux ans. Entre un tiers et la moitié des demandeurs obtiennent satisfaction.
Pas de quoi décourager les candidats à l’exil. Pas davantage que les agressions racistes, surtout dans l’est du pays, où les néonazis sont plus nombreux qu’ailleurs. En 2014, près de 250 attaques violentes (incendies ou agressions contre les personnes) visant des centres d’hébergement ont été recensées. Cette semaine encore, un foyer qui devait accueillir prochainement 400 demandeurs d’asile dans la petite ville de Wertheim (Bade-Wurtemberg) a été détruit par les flammes.
L’Allemagne à court d’hébergements
En réaction à ces images de haine, une vague de solidarité sans précédent balaie tout le pays. « Ce que nous voyons là, ce n’est pas mon Allemagne, estime Gregory, qui s’est porté volontaire pour donner des cours d’allemand. Nous voulons montrer que nous sommes un pays ouvert. » Selon les sondages, 60 % des Allemands sont favorables à l’accueil des exilés. Partout, les centres d’urgence croulent sous les dons : vêtements, jouets, argent, etc. Reste à savoir si cette générosité ne se tarira pas dans quelques mois, lorsque l’émotion du moment sera passée.
Les capacités d’accueil sont presque à saturation : entre 800 000 et 1 million de réfugiés sont attendus cette année. Au cours du week-end des 12 et 13 septembre, 20 000 ont passé la frontière – un record. En septembre, on en a recensé plus de 60 000. « Fonctionnaires et bénévoles sont à bout. Certains ne dorment que quelques heures par nuit », s’inquiète une responsable des affaires sociales au Sénat de Berlin.
Pour leur donner un peu de temps, Angela Merkel a décidé de fermer provisoirement la frontière avec l’Autriche, ce qui a divisé la classe politique et provoqué l’incompréhension des demandeurs. Elle en appelle également à la solidarité européenne, et plaide pour une meilleure répartition des arrivants entre tous les pays de l’Union.
Le camp de concentration de Dachau, pourrait être mis à contribution, ce qui ne fait d’ailleurs pas l’unanimité
À l’approche de l’hiver, qui, en Allemagne, est fort rude, la grande préoccupation est évidemment le logement. Partout, gymnases, casernes et maisons vides sont réquisitionnés, tandis que plusieurs villages de conteneurs ont été érigés à la hâte. Même des lieux chargés d’histoire, comme l’ancien aéroport de Tempelhof, à Berlin, ou le camp de concentration de Dachau, pourraient être mis à contribution, ce qui ne fait d’ailleurs pas l’unanimité.
Reste évidemment à intégrer ces centaines de milliers de personnes, et à ne pas renouveler les erreurs du passé (personne n’a oublié les Gastarbeiter, ces travailleurs immigrés – principalement turcs – arrivés dans les années 1960 qui ne cessèrent jamais d’être tenus à l’écart). Dix milliards d’euros ont déjà été débloqués pour faciliter leur accueil. L’apprentissage de l’allemand est la priorité. Prises d’assaut, les classes de langue gratuites ne sont pas encore en nombre suffisant.
Une aubaine pour le patronat
Le patronat ne voit pas d’un mauvais œil cet afflux inattendu de main-d’œuvre qui devrait permettre de compenser le vieillissement de la population. D’ici à 2020, il manquera 1,5 million de personnes sur le marché du travail, surtout dans les métiers de l’aide à la personne, de la médecine et de l’industrie. Or, selon l’Office fédéral de l’immigration, la majorité des Syriens et des Irakiens vient de pays où existait avant la guerre un bon système scolaire. Ils sont majoritairement issus des « classes moyennes voire supérieures » et disposent d’un « solide bagage éducatif ».
Le délai d’interdiction de travailler a déjà été réduit de neuf à trois mois
Sous la pression des employeurs, les règles pour le recrutement des réfugiés sont donc en passe d’être assouplies. Le délai d’interdiction de travailler a déjà été réduit de neuf à trois mois. Malgré les lourdeurs administratives, plusieurs entreprises ont sauté le pas. HEW-Kabel, une PME employant 300 salariés à Wipperfürth (Ouest), a ainsi embauché deux Syriens et un Macédonien pour un stage de sept mois.
À l’issue de cette période, ils seront sans doute engagés en CDI. « Pour les PME, qui ont des difficultés à pourvoir certains postes, ces travailleurs sont une chance : ils sont assez bien formés et très motivés », estime Andreas Schletter, chef du personnel. Selon l’institut de recherche économique DIW, le marché du travail pourra, dès la première année, absorber 50 000 réfugiés. Et les autres ? Pour ceux-là, le problème de l’intégration restera entier.
30 septembre 2015, Gwénaëlle Deboutte
Source : Jeune Afrique