Le chiffre circule depuis peu dans les médias : 1.805 mineurs marocains non accompagnés vivent dans des centres d’accueil en Espagne. Ils représentent plus de 50% des nationalités installées dans ces centres répartis entre la Catalogne, l’Andalousie, Madrid, Sebta et Mellilia.
Pourtant, ce chiffre est à prendre avec précaution. En effet, la migration des mineurs demeure difficile à chiffrer et les statistiques diffusées ne traduisent certainement pas la réalité, l’ampleur, les tendances et le nombre d’enfants réellement impliqués dans cette situation. Ces mineurs sont très mobiles, empruntent souvent des voies officieuses et évitent le contact avec les autorités au cours de leur périple migratoire, précise un document de l’UNICEF. Cette dernière a affirmé également qu’à l’heure actuelle, il n’existe aucun système centralisé de collecte ni de suivi des données concernant les enfants marocains qui traversent les frontières pour entrer en Europe ou circuler au sein de l’espace européen. Souvent, de nombreux enfants migrants sont comptabilisés plusieurs fois en Espagne (parce qu’enregistrés dans différentes régions autonomes). D’autant plus que les expulsions et les rapatriements arbitraires ne sont pris en compte par aucune source. De même, le trafic d’enfants ne semble faire l’objet d’aucun travail de collecte de l’information.
Des chiffres remontent à 2005 font état d’environ 1.000 mineurs non accompagnés présents aux Iles Canaries. D’autres datant de 2007 ont révélé que 4.400 enfants dont la majorité, constituée de garçons de 15 à 16 ans, vivait en Espagne. Des données récentes de l’association représentative des officiers de la Guardia civil (AUGC) ont démontré que 400 enfants marocains non accompagnés vivent à Mellilia et qu’entre 50 et 60 mineurs sont appréhendés quotidiennement et placés dans les centres de protection sociale. La grande majorité d’entre eux vit dans la rue, y passe la journée et une partie de la nuit. Souvent, ces enfants errent au port de la ville et ses alentours dans l’attente d’une occasion propice pour traverser le Détroit. Au-delà des lacunes informationnelles, ces mineurs sont souvent âgés de 15 à 19 ans. Une tendance observée également sur le plan international et qui confirme le rajeunissement des mineurs migrants et met en lumière une situation à risque pour ces enfants, très souvent exposés aux violations des droits de l’Homme.
Une situation qui remet en cause l’efficacité des instruments juridiques nationaux et binationaux dédiés à la protection de ces mineurs. En réalité, jusqu’à présent, il n’existe aucun instrument législatif, international ou régional, concernant spécifiquement la migration des mineurs non accompagnés. Seules les conventions internationales sur les droits de l’enfant, les réfugiés ou la traite des êtres humains peuvent, directement ou indirectement, être appliquées pour encadrer les mouvements forcés ou volontaires des enfants, qu’ils soient accompagnés ou non, précise un rapport de l’UNICEF.
Le Maroc et l’Espagne, quant à eux, ont ratifié le 23 décembre 2003 un Mémorandum d’entente (ME) sur les migrants mineurs non accompagnés, lequel s’est transformé en 2007 en accord binational. Un texte motivé davantage par des intérêts nationaux, notamment la sécurité des frontières que par la volonté de protéger ces mineurs. Effectivement, les quatre principes clés de la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE, à savoir le meilleur intérêt de l’enfant, le droit à la vie, à la survie et au développement, la non-discrimination et le respect des opinions de l’enfant n’y sont guère pris en considération.
La loi 02-03 relative à l’entrée et au séjour des étrangers au Royaume du Maroc, à l’émigration et à l’immigration irrégulière de 2003 reste également ambiguë sur cette question. Elle ne punit pas explicitement les mineurs qui émigrent mais ne leur réserve pas non plus de traitement spécial. De fait, elle sanctionne «l’émigration irrégulière» indépendamment de l’âge de l’auteur. En s’appuyant sur le pouvoir discrétionnaire que lui confère le Code de procédure pénal, le juge devrait prendre la décision de ne pas entamer de poursuites pour «émigration irrégulière» à l’encontre d’un enfant, s’il les juge contraires à son meilleur intérêt.
La même loi ne contient pas non plus des dispositions sur la réintégration des mineurs migrants non accompagnés, comme l’a observé le Comité des droits de l’enfant suite au rapatriement de nombreux enfants à partir de Sebta et Mellilia. A cela s’ajoutent l’absence de mécanismes et de directives sur le traitement des enfants migrants et le manque de formation et de sensibilisation des institutions concernées au niveau local.
Une situation qui perdure en dépit des programmes et projets en la matière établis par les différents départements ministériels. En effet, ces migrations sont appelées à durer tant que leurs causes structurelles restent liées en grande partie à l’abandon et au redoublement scolaire, au travail des enfants, à la pauvreté et à l’exclusion sociale.
2 Octobre 2015, Hassan Bentaleb
Source : Libération