samedi 23 novembre 2024 20:19

Une approche durable à l'immigration passe avant tout par l'Etat de droit- l'expérience de la République dominicaine

Depuis longtemps, l'Union Européenne est aux prises avec le défi de l'immigration dérégulée à grande échelle, qui menace les droits de ses concitoyens mais aussi ceux des migrants.

Ce défi n'est pas propre à l'Europe. La Républicaine dominicaine, pays en voie de développement, a reçu pendant la dernière décennie quelques 500 000 migrants venant de la République d'Haïti voisine, représentant ainsi près de 5% de la population totale de notre pays.

Tout comme l'Union Européenne, la République dominicaine a cherché une solution équitable qui soulagerait les souffrances et respecterait les droits fondamentaux des migrants, tout en maintenant l'État de droit. Depuis 2013, notre gouvernement a fait un grand pas en avant en ce sens grâce à une naturalisation massive et un programme de régularisation couronnés de succès. Cependant, pour aller plus loin et afin d'assurer que l'immigration reste une expérience positive pour toutes les parties, nous devons nous attaquer aux racines de l'immigration illégale. Dans notre cas la première étape vers une solution durable n'est pas seulement claire mais - avec le soutien international - parfaitement réaliste : la documentation des citoyens haïtiens.

Les migrants haïtiens en République dominicaine

La frontière avec Haïti a toujours été fluide, la République dominicaine ayant toujours accueilli les travailleurs haïtiens et soutenu les migrants haïtiens en leur garantissant soins médicaux et éducation de manière gratuite et ce, indépendamment de leur situation migratoire. Pour autant, à la suite d'un recensement en 2012 qui a établi qu'approximativement 430 000 migrants non déclarés et leurs descendants - majoritairement haïtiens - vivaient de manière permanente en République dominicaine, nous avons décidé d'agir pour garantir l'État de droit et le développement durable du pays, mais également pour protéger les droits élémentaires des migrants qui, invisibles aux yeux de l'État, se retrouvaient dans une situation de précarité et vulnérabilité.

Un plan ambitieux, progressif et fructueux

Suite à un dialogue avec le gouvernement haïtien et la communauté internationale - notamment l'Organisation Internationale pour les Migrations, l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés et l'UNICEF - nous avons établi un programme de documentation gratuit et ouvert à tous.

Le programme, d'une durée de 18 mois, a permis à plus de 350 000 demandeurs jusqu'alors vulnérables d'obtenir un titre de séjour (carte de résidence) et même dans certains cas la citoyenneté, et de ce fait un statut totalement légal du point de vue du droit national et international. Au total, on estime que plus de 75% des migrants en République dominicaine bénéficient maintenant d'un statut légal, ce qui n'était le cas que pour 20% d'entre eux avant la mise en place du programme.

Parmi ceux qui n'ont pas fait cette demande de régularisation, plus de 60 000 d 'entre eux ont pu bénéficier d'une exemption de sanctions administratives et quitter le pays de manière volontaire, et ainsi être éligible à une future immigration légale.

Aller de l'avant

Il reste néanmoins beaucoup à faire. Le gouvernement dominicain est péniblement conscient qu'il existe encore de nombreux migrants non documentés. Des ressources considérables ont été allouées pour augmenter l'infrastructure et améliorer la procédure d'inscription standard pour la naturalisation ou la régularisation, éduquer les citoyens et les migrants sur les conditions à remplir, et former les agents aux frontières et les fonctionnaires de l'immigration. D'autres mesures sont prévues dans le cadre du premier Plan National 2015-2020 pour les Droits Fondamentaux qui est en phase finale d'élaboration.

Cependant, les rapatriements sont dans certains cas inévitables, notamment quand les individus demeurent en violation du droit national. Chaque situation est appréhendée au cas par cas, conformément à un protocole fondé sur les meilleures pratiques des Nations Unies, garantissant ainsi le respect des droits fondamentaux et protégeant de reconduite à la frontière les individus vulnérables comme les mineurs non accompagnés.

La documentation est cruciale

Toutefois, pour arriver à une gestion réussie de l'immigration sur le long terme, nous devons nous assurer que les règles basiques de l'Etat de droit soient respectées de chaque côté de la frontière.

L'écrasante majorité de ceux qui risquent la reconduite à la frontière sont des nationaux haïtiens, des dizaines de milliers qui cherchent à obtenir des documents d'identité basiques de la part de leurs autorités afin de pouvoir présenter une demande de résidence et de permis de travail en République dominicaine - mais en vain.

Sans papiers il ne peut y avoir d'immigration légale et les migrants demeureront vulnérables. De plus, il est fondamental de fournir ces documents aux personnes les réclamant pour pouvoir construire une démocratie et un Etat de droit, afin de sortir du cercle des échecs institutionnels et de la pauvreté endémique, qui, combinés, sont les causes sous-jacentes de cette immigration économique.

La communauté internationale peut et doit continuer à apporter son soutien aux pays les plus pauvres - en Méditerranée et dans les Caraïbes - avec des aides. Néanmoins sans démocratie et Etat de droit, ces aides, dans la plupart des cas, échouent à mettre en place le développement et les droits fondamentaux qu'elles sont destinées à promouvoir.

Le Président Medina a appelé l'année dernière l'Assemblée Générale des Nations Unies à aider Haïti à documenter ses citoyens. Dans le contexte de la future adoption de l'agenda pour le développement post 2015 par les dirigeants internationaux, du 25 au 27 septembre à New York, cet appel se fait d'autant plus urgent.

En République dominicaine, nous avons un dicton qui pourrait se traduire ainsi: "un arbre est seulement aussi fort et résistant que le sont ses racines". Le développement durable, et l'immigration durable, sont tous deux dépendants du respect des droits fondamentaux. La documentation en constitue la première étape.

7 octobre 2015,Rosa Hernández

Source: huffingtonpost.fr

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