À l'heure où la Cinémathèque accueille une rétrospective de sa carrière, Philippe Faucon signe son plus beau film. La chronique lumineuse et sans cliché d'une intégration complexe. Récit de sa genèse.
Le nom de Philippe Faucon reste largement méconnu du grand public. Mais son film précédent, La désintégration, chronique de la montée de l'islam fondamentaliste parmi les jeunes des cités françaises, passé trop inaperçu à sa sortie en 2012, a ressurgi tel un boomerang avec les attentats terroristes qui ont frappé la France. Comme une oeuvre prophétique.
Saluons, donc, un réalisateur qui, depuis vingt-cinq ans, n'a eu de cesse de raconter notre pays. Et a su parler avec pertinence de sujets complexes - à un moment où beaucoup de ses confrères s'en détournaient -, comme le Sida dans Mes dix-sept ans ou le retour des nationalismes en Europe avec Les étrangers. Autant de films et de téléfilms programmés lors d'une rétrospective à la Cinémathèque, en parallèle de la sortie de son nouveau long Fatima. Son plus beau, à ce jour.
Fatima joue avec les stéréotypes
Le film met en scène une Algérienne installée en France, qui élève ses filles avec abnégation. Dans ces heures où l'étranger est souvent réduit à un problème, voire à une menace, ce film fait du bien. Par son optimisme, et sa manière d'aborder le réel sans oeillères. "Je joue avec les stéréotypes qui trouvent un écho dans notre société, bien que démentis par la vie réelle. Mais, au lieu de marteler un message, je donne vie à des personnages capables d'intéresser les spectateurs."
La productrice Fabienne Vonnier avait donc vu juste en lui proposant d'adapter le récit autobiographique Prière à la Lune, de Fatima Elayoubi, qui mêle pensées et poèmes. Et si ce livre parle aussi spontanément à Philippe Faucon, c'est qu'il évoque des personnes qu'il connaît bien, lui, le natif d'Oujda, au Maroc, dont l'épouse est d'origine algérienne. Il a donc parfaitement conscience que traiter un tel sujet dans la France d'aujourd'hui, sous tensions, implique une responsabilité indéniable. "Mais elle doit accompagner un processus créatif, et ne pas être vécue comme une crainte."
Ce film s'avéra pourtant compliqué à financer. D'abord, parce que Fabienne Vonnier, frappée par des ennuis de santé qui entraîneront sa disparition en 2013, jette l'éponge et propose à Philippe Faucon d'être également producteur. Ensuite, par peur d'un film clivant. "Mais aussi parce que cette histoire ne permettait pas d'engager des acteurs connus. Je n'étais pas opposé à l'idée de tourner avec des comédiens professionnels, mais interpréter le personnage, ça me paraissait difficile."
"Le comédien, plus important que le personnage écrit"
Les faits lui donnent raison. "On a multiplié les essais et rien ne s'est révélé convaincant." Il va donc dénicher son "actrice", Soria Zeroual, par l'intermédiaire d'associations de quartier. "J'ai été immédiatement séduit par sa présence, très calme et très assurée. Mais je me suis décidé sans qu'aucun de nous deux ne soit certain du résultat. Ni même si Soria pourrait porter le film jusqu'au bout."
Le tournage durera trente-cinq jours, soit cinq de moins que prévu. Autour de Soria Zeroual, le réalisateur réunit, pour incarner ses filles, Zita Hanrot (Radiostars) et la débutante Kenza Noah Aïche. Tenir les délais a obligé le cinéaste à faire son deuil d'une partie du scénario. "Mon équipe s'inquiétait, et pensait que j'étais en train de perdre mon film. Mais, pour moi, un scénario n'est jamais figé. Tourner permet de le faire évoluer en fonction des interprètes."
Habitué à travailler avec des professionnels comme des amateurs, Philippe Faucon réalise un cinéma d'auteur... et d'acteurs. "Pour moi, le comédien est plus important que le personnage écrit. Je devais tirer parti de la créativité de Soria, de sa sensibilité et de son intelligence. Faire venir à elle le personnage écrit, et non l'inverse."
Cet ex-assistant de Jacques Demy (Trois places pour le 26) ou de Leos Carax (Mauvais sang) est venu au cinéma par admiration pour les films de Bresson et Pialat, et leur manière singulière de raconter des corps, des visages et des voix. Fatima s'inscrit dans cette lignée-là. La vie et la fiction y sont entremêlées à chaque plan. Jamais le cinéma de Philippe Faucon n'avait été aussi lumineux. Un hymne à l'intégration, par l'auteur de La désintégration. Deux faces d'une même pièce, dont on ne voit trop souvent que la plus sombre.
07/10/2015, Thierry Chèze
Source : lexpress.fr