La géopolitique de la Méditerranée est marquée aujourd'hui par une crise migratoire exceptionnelle. Selon le dernier bilan présenté (le 27 octobre) par le Haut Commissariat de l'ONU pour les réfugiés, 705.200 migrants et réfugiés ont traversé la Méditerranée depuis le début de l'année; 562.355 personnes ont rejoint la Grèce et 140.000 l'Italie. 3210 sont morts ou portées disparues. Mare nostrum qui incarnait un espace de libre circulation symbolise désormais une muraille voire un tombeau maritime.
Située au carrefour de trois continents, la Méditerranée est un espace de migrations multidirectionnel. Par son histoire et sa configuration géographique, elle concentre et illustre, parmi d'autres, l'essentiel des problèmes de migrations rencontrés dans le monde (S. de Vangen et P. Vianna). Si depuis les Trente Glorieuses, le mouvement migratoire se concentre dans le sens Sud-Nord, sa forme (de plus en plus illégale et clandestine) et sa nature (de plus en plus liée à l'instabilité et insécurité régionale) ont évolué. Les franchissements irréguliers des frontières recensés sont le fait de flux mixtes de migrants au sein desquels les Etats doivent distinguer les demandeurs d'asile des autres migrants sans visa ni passeport, principalement des migrants pour motifs économiques. Les flux migratoires clandestins vers l'Europe mêlent aussi migrants économiques et migrants "politiques". La pauvreté qui frappe certaines régions de la rive sud et d'Afrique subsaharienne, ainsi que les conflits civils et militaires qui ébranlent des Etats méditerranéens ou relevant de leur voisinage proche (Libye, Syrie) continuent de susciter des candidats à l'immigration en provenance de la Méditerranée et d'au-delà: Asie centrale, Moyen-Orient, Afrique subsaharienne. Malgré les entraves juridiques et administratives et les moyens logistiques et coercitifs mis en place contre la libre circulation et les transméditerranéens, le volume des flux migratoires des pays des rives sud et est vers l'Europe ne cesse d'augmenter.
En outre, les dynamiques migratoires de ces dernières décennies ont été bouleversées. Les pays d'émigration (Europe du Sud, à l'exception de la France, et Balkans) sont désormais des espaces d'immigration. Les pays de la rive sud sont également des pays d'immigration pour des populations subsahariennes qui veulent le plus souvent franchir la mer pour atteindre l'Europe. Une partie d'entre elles n'hésite plus à s'établir durablement dans les métropoles littorales de la rive sud (au Maghreb). La rive nord (et donc l'Europe) ne sont pas la destination exclusive des migrants du Sud, qui tendent à se tourner vers deux pôles économiques distincts: les pays du Golfe et l'Amérique du Nord. Il faut aussi signaler les déplacements inter-sahéliens et inter-maghrébins temporaires.
Depuis ces derniers mois, les migrants sont des réfugiés politiques cherchant la paix et l'asile, fuyant la guerre en Syrie, la répression en Érythrée et la violence persistante en Afghanistan, en Somalie, au Nigeria, en Irak et au Soudan. Au vu des "révolutions" locales et du pourrissement du conflit syrien, ces mouvements de population pourraient encore s'intensifier en Méditerranée et au-delà... Après les migrants économiques et les réfugiés politiques, ce sont des réfugiés climatiques qui participeront à la reconfiguration de la géopolitique des migrations en Méditéranée.
03/11/2015, Béligh Nabli
Source : huffingtonpost.fr