Après leur appel à la Turquie pour freiner les vagues de réfugiés, les Européens vont aussi faire pression sur les pays africains pour qu'ils coopèrent davantage au retour chez eux de leurs migrants irréguliers, lors d'un sommet à La Valette.
La capitale maltaise accueillera les 11 et 12 novembre une soixantaine de dirigeants des deux continents, dont de nombreux chefs d'Etat, pour s'attaquer "aux causes profondes" qui poussent tant d'Africains à ne concevoir un avenir qu'en Europe, au point de risquer leur vie en traversant la Méditerranée sur des embarcations de fortune.
Le sommet avait été programmé au printemps dernier, au lendemain d'un naufrage dramatique dans lequel 800 migrants massés sur un chalutier étaient morts noyés au large de la Libye, point de départ de la route migratoire en Méditerranée centrale empruntée par de nombreux migrants économiques africains.
Depuis, les projecteurs se sont déplacés vers la route des Balkans empruntée par des demandeurs d'asile syriens toujours plus nombreux. Mais les flux venant d'Afrique n'ont pas cessé et les Européens sont décidés à fermer la porte à ceux qui, à l'exception des Érythréens, ne peuvent prétendre au statut de réfugiés.
Ces derniers étaient les plus nombreux parmi près de 140.000 migrants arrivés en Italie par la mer en 2015, mais l'Organisation internationale pour les migrations a aussi dénombré parmi eux près de 18.000 Nigérians et plus de 8.000 Soudanais.
Les Africains 'inquiets'
Parmi les migrants irréguliers africains se trouvant en Europe figurent aussi de nombreuses personnes arrivées légalement, avec des visas de tourisme par exemple, mais qui ne sont jamais reparties.
"Malgré la focalisation actuelle sur la Syrie, le sommet de la Valette reste très important pour les capitales européennes, parce qu'il concerne un problème migratoire de long terme", et non conjoncturel, souligne un diplomate européen. Et "les pays africains sont inquiets, car ils craignent de faire les frais de la forte mobilisation européenne en faveur des réfugiés syriens", ajoute-t-il.
"Nous ne pouvons pas tolérer les deux poids-deux mesures", a récemment lancé le ministre sénégalais de l'Intégration africaine Kadhim Diop, déplorant que les Africains soient "automatiquement considérés comme des migrants économiques à refouler". "Nos enfants souffrent sur ces routes et y laissent leur vie, nous vivons très mal ces drames", a-t-il souligné.
Le sommet de la Valette devrait déboucher sur un "plan d'action", avec des projets concrets à réaliser d'ici la fin 2016, censés répondre aux préoccupations des deux parties.
Ils viseront notamment à inciter certains pays africains à "réadmettre" sur leur territoire davantage de leurs ressortissants, par des aides financières mais aussi logistiques, et avec des plans de réinsertion.
"Très souvent, les pays d'origine font des difficultés: les +taux d'acceptation+ des retours sont très faibles, autour de 20%", indique une source européenne. Et pour cause: les fonds envoyés par la diaspora en Afrique sont bien supérieurs aux montants de l'aide au développement, ce qui en fait une source de revenus cruciale.
Certains pays africains sont prêts à coopérer, à condition, selon un négociateur européen, de pouvoir envoyer davantage de travailleurs légaux en Europe, alors que les Etats de l'UE semblent peu enclins à ouvrir de nouveaux canaux de migration légale.
"Les possibilités de visite touristique et de séjour académique et professionnel doivent être élargies et l'obtention de visas d'entrée (doit être) facilitée", a préconisé Khadim Diop.
Un Fonds pour l'Afrique
L'UE va aussi proposer son aide dans la lutte contre les passeurs. Et pour fixer les Africains sur leur continent, elle veut promouvoir des initiatives génératrices d'emplois et stimuler l'investissement, notamment en milieu rural.
Les Européens promettent aussi d'aider le continent à faire face à ses migrations internes, en aidant des pays comme le Soudan, l'Ethiopie ou le Cameroun, qui accueillent eux-mêmes de très nombreux migrants.
Pour financer tous ces projets, le sommet va lancer un Fonds fiduciaire pour l'Afrique, mis sur pied par la Commission européenne. L'exécutif européen y versera 1,8 milliard d'euros et a exhorté les Etats membres à y contribuer afin de doubler la mise.
Mais ces derniers tardent à mettre la main au porte-monnaie. "Comment pouvons-nous engager un dialogue sérieux et responsable avec nos cousins africains si nous-mêmes nous ne sommes pas à même de répondre convenablement aux promesses que nous leur avons faites?", les a récemment prévenus le président de la Commission, Jean-Claude Juncker.
08 nov. 2015,Cédric SIMON
Source : AFP