Dans l’incapacité de remettre en question leur approche sécuritaire des migrations, les États membres de l’Union Européenne persistent dans leur volonté de régler ce qu’il est devenu coutume d’appeler le « problème » de la « crise des migrants » qui arrivent en Europe. Comme d’habitude, les migrants d’origine africaine seront ciblés. Les décideurs européens négligent ainsi le droit et l’éthique et choisissent délibérément de nier l’importante contribution des migrants à la richesse de leurs économies, de leurs sociétés et de leurs cultures.
Est-il encore nécessaire de rappeler que les mobilités, premières ressources de l’humanité, ont, depuis toujours, permis de faire circuler les pratiques, les idées, les savoirs ; qu’elles continuent d’assurer, chaque jour, la liaison entre les territoires et les peuples ? Les initiatives individuelles et collectives des migrants ici et là-bas sont autant de pierres posées à l’édifice du développement partagé, de la solidarité et de la cohésion sociale. En ce sens, les migrations sont porteuses de progrès et un facteur inégalé de résilience pour les territoires. Cependant, les gouvernants européens n’ont pas le courage de le reconnaître ; cette réalité, pensent-ils, n’étant pas rentable d’un point de vue électoral. Nous assistons donc à un éternel recommencement de politiques de fermeture inefficaces, coûteuses en vies humaines et incompatibles avec un développement universel et inclusif.
Contradiction
Quelle contradiction alors que vient d’être adopté le nouveau cadre de développement durable – à travers les 17 objectifs de l’Agenda 2030 (ODD) - qui se veut transformatif, applicable à tous les pays, afin de permettre l’émergence de sociétés harmonieuses et pacifiques, où nul ne sera laissé de côté ! La Valette est le symptôme d’un entêtement européen : réadmissions, retours, contrôles des frontières, catégorisation des migrants seront au cœur des discussions lorsque les efforts devraient être tournés vers le respect des droits des personnes, la facilitation de la mobilité, la lutte contre les préjugés, l’inclusion sociale et professionnelle des migrants dans les pays d’accueil et le soutien à leurs initiatives ici et là-bas.
Là sont les seules décisions politiques ambitieuses et salutaires car ce sont là les seules mesures à même d’accroître l’impact positif des migrations sur le développement ! Notre inquiétude est d’autant plus grande que l’UE annonce la mise en place d’un fonds de 1,8 milliards d’euros visant à s’attaquer aux causes profondes de la migration dite « irrégulière ». Il est d’ores et déjà évident que les objectifs visés que ce soit sur les questions de gouvernance, d’accès aux droits, de résilience ou de changements climatiques sont incompatibles avec les échéances à court terme que se fixe l’Union Européenne à travers ce fonds fiduciaire « d’urgence ».
Par ailleurs, une partie de ces financements, ponctionnés sur le Fonds Européen de Développement, risque d’être détournée de son objectif premier. Au lieu de lutter contre la pauvreté dans les pays les plus vulnérables, elle ciblera les pays bénéficiaires non en fonction de leurs besoins mais selon leur potentiel à juguler les migrations vers l’Europe. L’aide au développement est, une fois de plus, instrumentalisée à des fins de gestion des flux migratoires. Cela est incompréhensible, inique et inadmissible. Nous ne l’acceptons pas plus aujourd’hui qu’hier ! Écartée des préparatifs du Sommet, refusée à la table des négociations, la société civile n’est pas dupe et ne restera pas silencieuse. Les enjeux des migrations ne pourront, en effet, être traités sans l’implication de toutes les parties prenantes, y compris la société civile et les migrants eux-mêmes.
À ce titre, alors qu’il est annoncé que « le sommet portera sur les enjeux, mais également sur les opportunités que représentent les migrations (et qu’) il sera également l’occasion de reconnaître que la gestion des migrations relève de la responsabilité commune des pays d’origine, de transit et de destination », nous sommes convaincus qu’il s’agit d’abord d’enjeux et d’opportunités qui relèvent des territoires, quels qu’ils soient. Cette dimension territoriale des questions migratoires relève de la capacité des autorités locales aussi bien que de chaque citoyen à prendre en compte l’ensemble des effets des mobilités comme facteurs de développement. Des alliances stratégiques entre autorités locales, organisations de la société civile, migrants, services techniques déconcentrés et recherche doivent être développées.
L’ensemble de ces acteurs, qui se sont déjà emparés de ces enjeux, doivent donc être associés dans la recherche des solutions. Nous ne laisserons pas cette question capitale aux seuls États. Quant aux États africains, nous attendons d’eux qu’ils assument leurs responsabilités en s’engageant résolument sur la voie de la bonne gouvernance et qu’ils parlent d’une seule et unique voix qui rappellera à l’Europe que les défis majeurs de l’Afrique sont ceux de la paix, du développement, de l’éradication des inégalités et de la pauvreté. Que les mobilités de toutes sortes ont toujours fait partie des stratégies de développement. Et qu’il ne s’agit en aucun cas de calmer les angoisses irrationnelles de l’Europe face à une invasion fantasmée. Nous, membres de la société civile, resterons vigilants et mobilisés afin que soit libéré le plein potentiel des migrations au service du développement durable. (Suit la liste des signataires).
09.11.2015
Source : lemonde.fr