Le Forum de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique s’est penché sur les problématiques migratoires africaines.
Trop exclusivement militaires, les actions de la communauté internationale sont centrées sur le contre-terrorisme et la menace djihadiste, ce qui accentue la dépendance à l’égard d’élites gangrenées par les réseaux criminels.
C’était un des ateliers organisés dans le cadre de la 2e édition du Forum de Dakar pour la paix et la sécurité en Afrique, le lundi 9 et le mardi 10 novembre 2015. Le thème ? « Problématiques migratoires africaines, migrations vers l’Europe, migrations intra-africaines, réseaux et trafics d’êtres humains ».
Ndioro Ndiaye, ancienne ministre du Sénégal et ancienne directrice générale adjointe de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) côtoyait Patricia Danzi, directrice régionale des opérations pour l’Afrique du Comité internationale de la Croix-Rouge (CICR), Petra Hueck, directrice à la Commission catholique internationale des migrations (ICMC Europe), Alphonse Seck, secrétaire général de Caritas Sénégal, et Cristina Barrios, conseillère à l’Institut d’études de sécurité de l’Union européenne.
Besoin d’une approche globale
Dans un langage convenu, les interventions se sont succédé pour souligner l’urgence d’une « approche globale » du phénomène, à la veille du sommet de La Valette qui réunira les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne et les dirigeants de plus d’une trentaine de pays africains considérés comme des pays d’origine ou de transit des migrants les 11 et 12 novembre.
Des participants africains ont déploré « la tragique absence de réponse » de leurs gouvernements à ces questions. Pourtant, souligne Ndioro Ndiaye, « la gestion de la migration est devenue pour les États africains un des grands défis du nouveau millénaire, social, économique, mais également sécuritaire ». Et d’insister sur le fait que « la majeure partie des migrations africaines est intra-africaine ».
Autre préoccupation majeure l’ancienne ministre du développement social du Sénégal, la structuration d’une économie criminelle : « Les réseaux de passeurs et la traite de migrants se multiplient à mesure que les voies légales de la migration vers l’Europe se ferment », souligne-t-elle.
L’enjeu migratoire, symptôme de la mauvaise gouvernance
Il aura fallu attendre l’intervention d’Emilio Manfredi, un chercheur indépendant, pour mesurer la véritable dimension de l’enjeu migratoire, symptôme de la mauvaise gouvernance. La pauvreté endémique, le sous-développement et une population jeune en plein essor poussent des milliers de jeunes sur les routes de l’émigration.
« Pas d’argent, pas de travail, pas d’instruction » souligne cet ancien journaliste, auteur d’un rapport de l’International Crisis Group (ICG) sur le Sahel central (1). « Les jeunes, marginalisés et aliénés aux coins des rues des villes et villages de la région, sont une bombe à retardement », souligne-t-il.
Problème : face à cet immense défi, « l’approche essentiellement sécuritaire » des gouvernements occidentaux, à travers des opérations militaires soutenues par des forces nationales de sécurité, aggrave les tensions.
Un système prédateur
Spécialiste de l’Afrique, Emilio Manfredi pointe le doigt sur le Niger, nouvelle frontière de la lutte antiterroriste. « C’est un système de gouvernance fondé sur la prédation, explique-t-il. L’État est tellement faible que les réseaux criminels contrôlent le gouvernement et les institutions. »
« Sur la route reliant la plaque tournante d’Agadez (la plus grande ville dans le nord du Niger) à Madama, la ville la plus septentrionale, la présence de l’État et de l’armée est visible, ajoute le chercheur, mais la traite d’êtres humains et le trafic dominent. »
Et d’insister sur le fait que « les représentants de l’État peuvent gagner bien plus que leurs salaires en fermant les yeux » et que « beaucoup sont peu motivés pour réduire la criminalité transnationale. Certains seraient même profondément impliqués. »
Le Niger, un pays stratégique
Dans le cadre de l’opération Barkhane, l’armée française a renforcé sa présence au Niger, en y établissant notamment une base avancée à Madama. Car le Niger est un pays stratégique pour Areva, qui y tire plus du tiers de sa production mondiale en uranium.
L’uranium extrait des mines à ciel ouvert d’Arlit, au nord du pays, sert à alimenter les centrales nucléaires françaises. Une partie des 58 réacteurs français d’EDF fonctionnent grâce au minerai du Niger, même si sa part décroît au profit du Kazakhstan et du Canada.
Des outils trop exclusivement militaires
« Les outils internationaux sont trop exclusivement militaires » affirme Emilio Manfredi. « Mettre trop l’accent sur les opérations de contre-terrorisme et la menace djihadiste détourne l’attention et les ressources essentielles des causes sous-jacentes de l’instabilité et peut les exacerber, car cela exige de dépendre des élites centrales et locales déficientes. »
À l’approche de l’élection présidentielle de 2016, le président Mahamadou Issoufou, conforté par le soutien occidental, met l’accent sur la menace djihadiste pour détourner les critiques sur ses échecs en matière de gouvernance. « Le Niger a dépensé en 2014 un peu plus de la moitié seulement de l’aide au développement qu’il avait reçue », souligne le rapport de l’International Crisis Group.
La migration renforce la crise sécuritaire
Le chercheur critique le fait que l’État n’a pas encore mobilisé de ressources importantes pour créer des opportunités pour les jeunes, de plus en plus mécontents, alors que le nombre d’emplois créés par le secteur privé est faible.
« La plupart des investissements sont soit des sous-produits du détournement des fonds de l’État ou d’entreprises criminelles comme le trafic de produits illicites et la traite d’êtres humains, explique-t-il, soit des transactions douteuses menées par la diaspora ou des hommes d’affaires régionaux qui cherchent à profiter du système d’imposition mal géré. »
La conclusion d’Emilio Manfredi est sans appel. Il dénonce la « connivence » entre acteurs nationaux, régionaux et internationaux. À ses yeux, « la migration n’est pas seulement une tragédie humaine mais une des principales composantes de la crise politique et sécuritaire dans la région ».
« Les migrants, conclut-il, sont des cibles rentables pour les réseaux de passeurs qui sont de connivence avec les institutions publiques comme au Niger, ou qui fusionnent pour détruire ou remplacer les vestiges d’un État qui s’effondre, comme dans le sud de la Libye. »
10/11/15, François d’Alançon
Source : La Croix