Pierre-Henry DESHAYESL'essor de la route migratoire par l'Arctique inquiète et agace la Norvège, pays qui cherche à renvoyer rapidement les nouveaux arrivants vers la Russie coupable, selon certains, de faire de la provocation.
Depuis le début de l'année, près de 4.000 demandeurs d'asile ont fait un très long crochet via le Grand Nord pour traverser la frontière entre la Russie et la Norvège, pays membre de l'espace Schengen à défaut d'appartenir à l'Union européenne. Ils n'étaient que dix en 2014.
Que les Russes les laissent parcourir une région hautement militarisée est parfois perçu comme une volonté de déstabilisation.
Rédacteur en chef du journal régional Independent Barents Observer, Thomas Nilsen y voit "une provocation" décidée "en haut lieu à Moscou" pour, avance-t-il, montrer ses muscles, punir Oslo de s'être joint aux sanctions européennes ou encore créer des divisions dans la classe politique norvégienne.
Spécialiste des questions de défense, le journaliste Kjetil Stormak évoque, lui, "une guerre hybride", c'est-à-dire une agression furtive de la Russie contre la Norvège pays membre de l'Otan sur fond de tensions autour de la crise ukrainienne.
Si le nombre d'arrivées reste modeste au regard de centaines des milliers de migrants qui ont traversé la Méditerranée au péril de leur vie, il va en augmentant. Dans des températures déjà hivernales, plus de 1.100 demandeurs d'asile ont franchi cette frontière au cours de la seule semaine dernière.
L'affaire avait au départ un côté insolite. Les migrants doivent parcourir les derniers mètres sur des vélos achetés au prix fort, puisque les autorités russes interdisent de passer à pied, et la Norvège sanctionne ceux qui les transporteraient en voiture.
Mais elle a aussi pris une dimension diplomatique. Faisant valoir que la Finlande toute proche, membre de l'UE mais pas de l'Otan, ne recevait pour sa part presque aucun migrant en provenance de Russie, Oslo a demandé des comptes à Moscou, sans obtenir de "réponse satisfaisante".
Route dangereuse en hiver
Mardi, l'ambassade russe à Oslo a souligné que "les ressortissants étrangers ïétaientû libres de choisir le poste-frontière et le pays de leur choix quant ils quittent la Fédération russe". Leur choix "est très probablement dicté par la politique d'asile libérale, les conditions de vie attrayantes et les prestations sociales" de la Norvège, a-t-elle écrit sur Facebook.
Malgré des appels en ce sens, le gouvernement norvégien exclut à ce stade de fermer sa frontière, ce que son voisin percevrait très mal.
Le temps presse pour trouver une solution.
Les réfugiés "ont perçu cette route vers l'Europe comme sûre. Ça va changer maintenant que l'hiver arrive", a déclaré le secrétaire d'État à la Justice, Jøran Kallmyr. "Cela peut être une route (...) encore plus dangereuse que la traversée de la Méditerranée en bateau", a-t-il dit, citant le risque de tempêtes de neige soudaines et potentiellement fatales pour les cyclistes.
Alors que la région est dépourvue de capacités d'accueil, les autorités norvégiennes devaient inaugurer mercredi un centre de transit de 600 places et envisagent aussi de louer des paquebots pour un hébergement transitoire.
Surtout, elles affichent la volonté de renvoyer rapidement vers la Russie tous les demandeurs d'asile qui y ont transité avec un titre de séjour valide, arguant qu'il s'agit d'un pays sûr.
Mais Moscou semble d'ores et déjà vouloir leur couper l'herbe sous le pied: certains migrants arrivés récemment en Norvège, surtout afghans --dernièrement plus nombreux que les Syriens-- étaient porteurs d'un arrêté d'expulsion remis à leur départ de Russie, rendant donc leur renvoi impossible.
Faisant valoir que leurs chances d'obtenir un permis de séjour sur son sol sont moindres, le pays scandinave les met aujourd'hui en garde, sur les réseaux sociaux, contre la tentation de renoncer à un titre de séjour en Russie, préférable à un retour à Kaboul où il envisage désormais de les expulser.
10 nov 2015
Source : AFP