samedi 23 novembre 2024 17:43

Migrations : un cadre juridique à revoir

La crise migratoire qui frappe à nos portes européennes depuis cet été nous amène aujourd’hui à devoir repenser de manière critique notre politique migratoire.

La France est le 4ème Etat membre en termes de demandeurs d’asile (derrière l’Allemagne, l’Italie et la Suède). Selon les chiffres officiels provisoires du ministère de l’Intérieur, en 2014, 14 589 demandeurs d’asile ont obtenu le statut de réfugié, et 3 521 ont bénéficié de la protection subsidiaire. Ces chiffres sont peu élevés par rapport à ceux de l’immigration familiale ou professionnelle : 209 782 titres de séjour délivrés en 2014, dont 91 997 au titre du regroupement familial. En privilégiant l’immigration familiale, la France a totalement délaissé l’immigration professionnelle. Et cela se retrouve dans sa politique d’asile.

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Dans le cadre de la crise migratoire actuelle, la France s’est engagée à accueillir près de 30 000 demandeurs d’asile. Et pourtant, les migrants ne choisissent pas massivement de venir en France. Raisons linguistiques ou culturelles ? En fait ce n’est ni le chômage ni la langue qui justifie ces réticences, mais bien les carences de nos règles juridiques en matière d’immigration professionnelle. Le parcours est extrêmement long et difficile avant d’obtenir le droit de travailler en France et cela, même pour les migrants. La question n’est donc plus tant de trouver du travail que d’être autorisé à travailler en France.

Cette réalité s’explique en partie par les choix politiques français de ces trente dernières années, qui se sont essentiellement concentrés sur l’immigration familiale au détriment de l’immigration professionnelle. De ce fait, le cadre juridique des réfugiés et demandeurs d’asile n’a jamais été repensé sous l’angle économique.

Deux exemples illustrent cette inadéquation

Premièrement, les demandeurs d’asile n’ont pas le droit de travailler durant l’instruction de leurs dossiers, soit jusqu’à deux ans en moyenne. Ce n’est qu’au bout de neuf mois d’instruction qu’ une autorisation de travail peut au cas par cas leur être accordée pour trois mois sous réserve de renouvellement…Si notre code du travail permettait plus facilement la signature de contrats à durée déterminée pour des durées de trois mois au bénéfice exclusif des demandeurs d’asile, le système pourrait éventuellement fonctionne. Mais au final, il favorise le travail clandestin tout au long des (longues) procédures d’instruction.

Deuxièmement, notre immigration professionnelle est en panne. La délivrance d’une autorisation de travail est conditionnée à la démonstration par l’employeur qu’il n’existe en France aucun demandeur d’emploi apte à exercer l’emploi. Cette exigence freine souvent la possibilité d’avoir une main d’œuvre disponible, alors que la demande est une réalité dans de nombreux secteurs : artisanat, BTP, nettoyage, garde d’enfants, informatique…

Les politiques actuelles d’immigration professionnelle ne répondent donc ni à un besoin de main d’œuvre, ni à la question de l’intégration économique des ressortissants étrangers. Nos règles se concentrent en priorité sur l’encadrement et la limitation d’une immigration familiale devenue selon certains débordante, et sur la mise en place des mesures d’éloignement du territoire pour bloquer ce que certains appellent déjà « invasion ». La dimension économique est totalement oublié : le migrant est par définition une charge pour le système, et pas une solution !

C’est toute l’erreur de notre politique migratoire : ne pas avoir compris que notre économie pouvait également se renforcer par une ouverture plus libérale à l’immigration professionnelle.

Au final, ce sont les migrants qui démontrent cette crise de la politique migratoire française. Ils n’ont pour la plupart aucune famille en France, ne lisent pas nos journaux ; mais ils savent que leur installation en France sera économiquement et administrativement pénible en raison de nos règles juridiques dépassées.

12.11.2015, Raphael Apelbaum

 Source : lemonde.fr

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