Samedi, Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis) se réveille, comme partout, en silence. Près du centre-ville, Kheira se dirige vers sa voiture. Ses deux enfants sont restés dans son appartement avec son mari. Elle n’a pas fermé l’œil de la nuit. «Je suis restée devant ma télé, c’était effrayant. Je sors rapidement pour faire quelques courses et je rejoins ma famille. Ce week-end, je ne bouge pas», dit-elle à voix basse. Kheira, 39 ans, est sous le «choc»: «Des gens dans la rue au hasard, c’est de la folie.»
En janvier, après les attaques contre Charlie Hebdo, le sentiment était différent parmi les 5 millions de musulmans en France. Certains «étaient Charlie», d’autres non. Elle explique : «L’attaque contre Charlie Hebdo était politique : des terroristes qui tuent des journalistes après avoir insulté notre prophète.» Elle conclut : «Attention, je n’ai pas approuvé les attaques, c’est grave de tuer, mais les gens de Charlie étaient sous protection et les tueurs en mission. Là, les gens dans la rue n’avaient aucune protection et n’ont fait de mal à personne, c’est vraiment dégueulasse.»Elle monte dans son véhicule sans se retourner. Cette fois, les morts de vendredi rassemblent toutes les âmes. Sur le bitume et les réseaux sociaux, personne ne bronche pour dire «c’est mérité».
Pratiquants. La journée passe, la nuit approche et un couple rejoint son domicile à Montreuil (Seine-Saint-Denis). Lui, un ancien ouvrier à la retraite. Elle, une mère au foyer à la retraite : ses quatre enfants ont quitté le domicile familial. Le couple est d’originaire d’Algérie. Abdelkader est arrivé en France au milieu des années 70. Fatima quelques années plus tard. Ils sont pratiquants tous les deux. «Ce n’est pas ça, l’islam», lâche Abdelkader d’emblée, sous le regard de son épouse. Il ajoute : «Les terroristes méritent la peine de mort.» Fatima acquiesce et enchaîne : «Il faut fermer les frontières, ce n’est pas normal que les armes rentrent aussi facilement en France.»
Le couple est «énervé» et comprend les regards en direction des musulmans : «Des fous qui se prétendent être de notre religion et tirent dans la foule, c’est normal que les gens se posent des questions. On aurait fait pareil. C’est à nous d’expliquer, de montrer la vraie face de l’islam», argumente Abdelkader.
Et après les attentats du mois de janvier, comment aviez-vous réagi ? Fatima : «Il y a deux choses différentes. Il y a les morts dans le magasin juif, les pauvres, ils n’ont rien demandé et ceux de Charlie Hebdo : ils ont insulté les musulmans avec les dessins et ils ont reçu des menaces…» Abdelkader lui coupe la parole: «Non, je ne suis pas d’accord avec toi, à Charlie Hebdo aussi, c’est des pauvres gens : ils ont une famille, des parents. C’est triste, même si je ne suis pas d’accord avec eux.»
Amalgame. Depuis ces attentats qui ont visé les cafés parisiens, le Bataclan et le Stade de France, les regards se tournent de nouveau vers les musulmans (lire ci-contre). Comme souvent en pareille circonstance se pose la question de l’amalgame : reproches, accusations, soutiens. Dans les médias et la société civile, toujours la même conclusion : «Le musulman doit-il en faire plus que les autres pour désapprouver les attaques des terroristes ?» Cette question agace. Moussa, un agent de sécurité, s’énerve. «Pourquoi vous me posez la question ? Parce que je suis musulman ? Au Bataclan, des vigiles sont morts, des collègues. Les mecs ont buté des gens les yeux fermés. Ça pouvait être n’importe qui. D’ailleurs, des gens de toutes les couleurs ont été tués. A l’époque de Charlie aussi, c’était très grave. Mais si les réactions étaient moindres c’est parce que nous, les musulmans, on avait, depuis des années, un contentieux avec eux.»
16 nov 2015, Rachid Laïreche
Source : Libération