La tentation du repli. Les attentats de Paris et la découverte d’un passeport syrien près du corps d’un des kamikazes ont aussitôt relancé les tensions au sein de l’Union européenne sur la politique d’accueil des migrants, les partisans d’une ligne dure estimant leurs craintes plus fondées que jamais. Face à eux, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker est intervenu dimanche pour défendre la ligne retenue jusqu’alors, assurant qu'« il n’y a pas lieu de revoir dans leur ensemble les politiques européennes en matière de réfugiés ».
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Athènes et Belgrade ont confirmé que le passeport syrien retrouvé près d’un kamikaze du Stade de France – et dont on ne sait pas encore avec certitude s’il lui appartenait — était celui d’un migrant arrivé le 3 octobre par l’île grecque de Leros, et qui a par la suite transité par la Serbie. Henri Labayle, professeur de droit à la faculté de Bayonne et directeur du CDRE, laboratoire de recherches spécialisé en matière européenne et notamment en droits fondamentaux, d’immigration et de sécurité intérieure, analyse la stratégie migratoire de l’Europe.
Que pensez-vous des dernières déclarations de Jean-Claude Juncker ?
Son argumentaire est fondé sur le bon sens. Les milliers de personnes qui fuient chaque jour la Syrie où elles se font massacrer ne sont évidemment pas assimilables aux terroristes qui se réclament de l’organisation de l’état islamique.
Il y a aujourd’hui un effet d’aubaine, dont certains acteurs politiques se sont déjà saisis. En attestent les déclarations de Nicolas Sarkozy ou celles, moins subtiles, des Polonais notamment. Quelques hommes et femmes politiques s’emparent de ces événements tragiques pour établir un lien entre le problème du terrorisme et la problématique des réfugiés, ce qui n’a pas lieu d’être.
Faut-il s’attendre après ces attentats à un durcissement de l’accueil des migrants en Europe ?
Assurément, la gravité et la violence des événements vont conduire à un raidissement extrême à l’égard des migrants. Par rapport aux attentats de janvier, il y a ici une racine extérieure, directement liée à ce qui se passe actuellement en Syrie. Les rangs de ceux qui s’opposent à l’accueil des réfugiés syriens risquent donc de grossir. Des jours très difficiles s’annoncent pour ceux qui sont sur les routes à l’approche de l’hiver. On va au-devant d’une catastrophe humanitaire.
Les responsables politiques européens n’ont pas voulu « parler vrai » à leurs opinions publiques. Ils ont tenu un discours lénifiant, de sorte qu’on a cru que les attentats, c’était pour les autres. Mais il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui, va de pair avec la libre circulation des personnes la libre circulation de la violence.
Faut-il alors pointer une défaillance de l’Europe ?
Il faut relever une incapacité non pas de l’Europe mais des Etats membres dans la gestion du flux des réfugiés. Si l’Europe avait été à la hauteur de ce défi en suivant, répertoriant et répartissant les personnes, ça aurait peut-être été différent. Dans ce sens-là, il y a quelque part un lien avec la crise des réfugiés. On se retrouve avec des gens qui « se baladent » sur le territoire européen alors qu’ils ne le devraient pas.
Mais on ne peut pas stigmatiser l’Europe et son mode de fonctionnement. Reste aujourd’hui à savoir si le passeport syrien retrouvé près du corps d’un des terroristes est bien celui du kamikaze. Mais quoi qu’il en soit, l’individu a été enregistré en Grèce, puis Serbie : il a tout de même été tracé. L’Europe est un bouc émissaire facile, mais il est vrai que des efforts doivent être faits sur le terrain de la coopération européenne.
15.11.2015, Anissa Boumediene
Source : 20minutes.fr