samedi 23 novembre 2024 17:51

Les nouvelles figures de l'islam de France, des néosalafistes aux plus libéraux

En mal de crédibilité, l'islam institutionnel de France doit composer avec de nouvelles figures: des acteurs de terrain ou plus médiatiques, des libéraux jusqu'aux néosalafistes du web, en passant par de jeunes activistes proches des Frères musulmans.

Créé en 2003 à l'initiative des pouvoirs publics, le Conseil français du culte musulman (CFCM) n'a jamais réussi à incarner un "islam de France", dont beaucoup veulent hâter la construction après les sanglants attentats jihadistes du 13 novembre à Paris (130 morts).

Gérée par des "blédards" (nés à l'étranger), minée par la rivalité "consulaire" des pays d'origine (Algérie, Maroc et Turquie), l'institution peine à parler aux cinq millions de musulmans (estimation du gouvernement), croyants ou non, notamment à la jeunesse née en France.

Mais d'autres voix ont germé sur ce terrain très largement sunnite - sans clergé ni autorité théologique unique - qui favorise la pluralité des prises de parole.

"Le champ islamique national est principalement dominé par deux types de tendances, néosalafiste et néofrériste", incarnées par des orthodoxes, voire des fondamentalistes, en quête d'un islam mythique des origines ou des conservateurs proches des Frères musulmans, explique à l'AFP Haoues Seniguer, maître de conférences à l'Institut d'études politiques de Lyon (centre-est). "Ils profitent du vide institutionnel", relève-t-il.

Leur mobilisation identitaire, pour le développement du halal ou contre les "discriminations" visant les musulmans, s'opère surtout sur la Toile.

Dans ce bloc idéologique figurent notamment le blogueur "orthodoxe" Fateh Kimouche, dont le site Al Kanz revendique 14 millions de visites en 2014, ou encore les jeunes militants du Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF).

Ils peuvent, au besoin, appuyer certains "téléprédicateurs", dont le fond de commerce est de donner des conseils de vie binaires: "halal" (autorisé) ou "haram" (interdit), comme l'imam salafiste de Brest (ouest) Rachid Abou Houdeyfa, lui-même star du web avec près de 190.000 "likes" sur Facebook.

Même s'il a condamné les attentats, celui-ci est dans la tourmente à cause d'une vidéo de 2014 le montrant en train d'expliquer à des enfants qu'écouter de la musique peut conduire "Allah" à transformer l'auditeur "soit en porc, soit en singe."

Coqueluche des plateaux

Dans les médias généralistes, ce sont des personnalités moins conservatrices qui se font entendre, à l'instar de l'imam de Bordeaux (sud-ouest) Tareq Oubrou, connu pour ses prises de position en faveur d'un islam libéral.

Evoluant aussi dans la mouvance "frériste", Azzedine Gaci plaide à Villeurbanne (centre-est), près de Lyon, pour "des imams ayant pignon sur rue, sachant manier la langue française mais aussi les réseaux sociaux", pour ne pas laisser tout l'espace "aux télémuftis et aux cyberfatwas".

Jeune imam à Ivry-sur-Seine, en banlieue parisienne, Mohamed Bajrafil fait également partie de ceux qu'on consulte désormais pour réfléchir à la refondation de la pensée islamique, convaincu qu'"il est temps d'entrer dans le XXIe siècle" - le sous-titre de son récent livre ("Islam de France, l'an I", éd. Plein Jour).
Imam lui aussi, mais itinérant, Abdelali Mamoun est devenu une des coqueluches des plateaux radio et télé. Il plaide pour un CFCM élu au suffrage universel et non par de grands électeurs. "Il faut se débarrasser du discours radical mais aussi du discours consulaire, qui sont pour moi la peste et le choléra", dit-il avec son franc parler.

D'autres mettent en avant le pragmatisme du terrain dans la gestion des affaires cultuelles, celle des mosquées ou de l'abattage rituel: ainsi de M'hammed Henniche, secrétaire général de l'Union des associations musulmanes de Seine-Saint-Denis (UAM93), une fédération indépendante active sur de nombreux fronts.

Conscient des faiblesses du CFCM, l'Etat a installé en juin une "instance de dialogue avec l'islam" associant ces figures indépendantes, libérales et même conservatrices, pour la plupart - néosalafistes exceptés.
Après les attentats revendiqués par le groupe Etat islamique (EI), le Premier ministre Manuel Valls a encore appelé "l'islam" à se mettre "debout" pour "couper toute complaisance" envers le jihadisme et le terrorisme.

27 nov 2015,Benoît FAUCHET

Source : AFP

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