Les pays de la route des Balkans ont commencé à filtrer les demandeurs d’asile par nationalités.
Un scénario redouté de longue date, qui pourrait avoir de graves conséquences pour ces derniers.
Il intervient dans un climat de suspicion alimenté par les attentats du 13 novembre à Paris.
Les portes se ferment au nez des exilés parvenus au seuil de l’Europe après avoir traversé la mer Égée. Ils étaient environ 1 100 à attendre, mercredi 25 novembre, aux abords du village grec de Idomeni, à la frontière avec la Macédoine. Ces champs fendus par le chemin de fer qui file vers Skopje ont vu passer plus de 700 000 demandeurs d’asile depuis le début de l’année. Mais ces sept derniers jours, le périple, censé le plus souvent s’achever en Allemagne, se termine à la guérite de l’armée macédonienne pour une partie d’entre eux.
La Macédoine a décidé, le 19 novembre, de n’accepter que les Syriens, les Irakiens et les Afghans sur son territoire. Iraniens, Bangladais, Népalais…, ces ressortissants des nombreux autres pays représentés sur la route des Balkans ont ainsi rebroussé chemin vers Athènes, où ils peuvent être hébergés dans un stade, tandis que d’autres attendent, dans le froid, un improbable dénouement à la frontière macédonienne. Ils passent la nuit dans l’une des sept tentes dressées par Médecins sans frontières (MSF), l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR).
Fermeture des frontières en cascade
« Au total, ces tentes ne peuvent pas héberger plus de 2 000 personnes », prévient Antonis Rigas, responsable de MSF à Idomeni. Les risques se sont accrus de voir le scénario qu’il redoute depuis des mois : une fermeture des frontières en cascade par les pays traversés par la route des Balkans, qui bloquerait des milliers de demandeurs d’asile en Grèce. La décision de Skopje est concomitante à une mesure identique prise par Belgrade, arguant que la Croatie avait fait ce choix, qui a elle-même répondu à une demande de la Slovénie.
« Quel est le plan pour ceux qui vont rester en Grèce, dont on sait que ce n’est pas un pays d’asile sûr ? s’interroge Marie-Elisabeth Ingres, chef de mission de MSF en Grèce. Certains réfugiés refoulés expliquent en pleurant qu’ils ne peuvent pas retourner dans leur pays ».
Le filtrage des migrants, et donc le blocage en Grèce des refoulés, souligne plusieurs contradictions des Européens. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a estimé, en 2011, que le système grec ne respectait pas les droits des demandeurs d’asile, de sorte que les pays de l’Union européenne (UE) n’y renvoient plus ces derniers lorsqu’ils sont arrêtés ailleurs sur le Vieux Continent. D’après la Convention de Genève sur les réfugiés, la nationalité ne saurait être un critère pour déterminer le statut de réfugié, accordé sur la base de l’histoire individuelle.
Les attentats de Paris créent la suspicion
Ici et là en Europe, l’information selon laquelle l’un des auteurs des attentats du 13 novembre en France aurait circulé parmi les demandeurs d’asile sur la route des Balkans crée, ou alimente, la suspicion autour de ces derniers. À l’approche d’échéances électorales, en France notamment, les gouvernements craignent ainsi plus encore la concurrence de la droite populiste, ce qui les incite à dissiper toute impression de « passoire » européenne.
« L’Europe doit dire qu’elle ne peut plus accueillir autant de migrants, ce n’est pas possible », a déclaré le premier ministre français, Manuel Valls, à plusieurs journalistes étrangersmardi 24 novembre. Ces derniers ayant utilisé le mot « réfugiés » dans la reproduction de la citation, le cabinet du premier ministre a ensuite souligné que le mot « migrants » avait été employé. Une précision qui permet à Manuel Valls de respecter l’impératif humanitaire, tout en fermant la porte aux « migrants économiques », stigmatisés par le Front National.
« La Suède a besoin de répit (…), la législation nationale va être adaptée au niveau minimal de l’UE », a quant à lui annoncé, mardi 24 novembre, le premier ministre suédois, Stefan Löven, dont le pays, où sont arrivés 80 000 demandeurs d’asile ces deux derniers mois, affiche le taux le plus élevé de réfugiés par rapport à sa population. Outre la saturation du système d’accueil, la progression de l’extrême droite explique ce choix.
« La Turquie a tout à fait les moyens de contrôler les départs »
L’UE qui a promis une aide de trois milliards d’euros à la Turquie, compte sur elle pour limiter le nombre d’arrivées en Europe. « La Turquie a tout à fait les moyens de contrôler les départs, indique Peter Bouckaert, expert en crises humanitaires à Human Rights Watch (HRW). Lorsque le président turc est venu à Bruxelles, en octobre, quasiment aucun bateau n’est arrivé de Turquie en Grèce pendant deux jours. »
La réduction sensible du nombre d’arrivées sur les îles grecques durant le week-end serait-elle ainsi davantage le résultat d’un zèle turc que des vents violents sur la mer Égée ? Le premier ministre turc, Ahmet Davutoglu, doit participer à un sommet à Bruxelles, dimanche 29 novembre, consacré aux « flux migratoires ».
La Slovaquie va déposer une plainte contre les quotas
La Slovaquie a annoncé, mardi 24 novembre, son intention de déposer une plainte devant la Cour de justice de l’Union européenne contre le système européen de répartition de 160 000 réfugiés. D’après ces « quotas », ce pays de 5,4 millions d’habitants, au cœur de l’Europe centrale, doit accueillir 2 300 personnes dans les deux ans. Un « diktat » de Bruxelles, d’après le premier ministre, le socialiste Robert Fico, qui joue sa réélection en mars prochain.
26/11/15, ARIANNE MEUNIER
Source : La Croix