Les contrôles frontaliers à l'intérieur de l'espace Schengen, normalement exceptionnels, vont-ils se banaliser? La possibilité d'en prolonger la durée jusqu'à deux ans est désormais sur la table, sous la pression de pays accusant la Grèce de ne pas protéger la frontière extérieure de l'Union face aux migrants.
La question sera vendredi au menu d'une réunion des ministres de l'Intérieur de l'UE à Bruxelles, qui feront le point sur la gestion de la crise migratoire qui n'en finit pas d'ébranler l'unité de l'Europe.
La Grèce, principale porte d'entrée des migrants dans l'Union, est la cible de critiques croissantes de certains pays du Nord qui lui reprochent de ne pas maîtriser l'afflux sans précédent de migrants.
"C'est surprenant, il est pris comme acquis qu'il est normal que les détenteurs de passeports syriens ou irakiens se déplacent librement", observe une source européenne. "En réalité, Schengen veut que la demande d'asile soit déposée dans le premier pays" d'arrivée, à savoir d'abord la Grèce.
Dans ce climat de défiance, plusieurs dirigeants européens ont exprimé publiquement leur crainte de voir remise en question la libre circulation dans l'espace Schengen, une des réalisations les plus emblématiques de l'UE.
Deux ans
En théorie, les seuls contrôles sont censés avoir lieu aux frontières extérieures de Schengen, où doivent être enregistrés les demandes d'asiles et d'où les migrants irréguliers doivent être renvoyés.
Mais la tache est immense, avec quelque 886.000 migrants qui ont traversé la Méditerranée pour rejoindre l'Europe en 2015. La grande majorité l'ont fait par la Grèce, avant de continuer leur périple par les Balkans.
Les frontières extérieures ne jouant plus leur rôle de filtres, des pays comme l'Allemagne, l'Autriche ou encore la Slovaquie, ont rétabli des contrôles à leurs frontières. Le code Schengen les y autorise, mais dans des circonstances exceptionnelles et pour une durée maximale de 6 mois.
Du fait de cette limite, "certains Etats ne pourront plus le faire à partir de mars 2016", a souligné une source au sein de la présidence luxembourgeoise du Conseil de l'UE (qui réunit les Etats membres). C'est pour cette raison qu'elle a mis la question à l'ordre du jour de la réunion ministérielle de vendredi.
Une disposition du code Schengen (son article 26) prévoit bien une prolongation jusqu'à deux ans "dans des circonstances exceptionnelles mettant en péril le fonctionnement global" de l'espace Schengen, "du fait de manquements graves persistants liés au contrôle aux frontières extérieures".
Mais l'activation de cet article ne peut se faire qu'à l'issue "d'un long processus", a expliqué une source au Conseil. "C'est pourquoi il faut en parler dès maintenant", a-t-elle expliqué, précisant que les ministres n'auraient pas à voter vendredi sur ce sujet.
'Faire peur aux Grecs'
"Ce n'est pas une suspension de Schengen dont il est question", a insisté une source diplomatique, "c'est une initiative pour s'assurer que des Etats ne vont pas vouloir sortir de l'espace Schengen après mars, si la situation ne s'est pas améliorée avec la Grèce".
"Ils ont fait ça pour faire peur aux Grecs", a estimé un diplomate sous couvert de l'anonymat.
"C'est sûr, on veut dire aux Grecs qu'ils ne font pas bien le travail, mais il n'est pas question de les sortir de Schengen", a assuré une autre source diplomatique alors que des médias ont évoqué cette hypothèse.
Il est notamment reproché à Athènes de ne pas mettre en place suffisamment vite les "hotspots", où doivent être enregistrés les migrants. L'UE regrette aussi que la Grèce n'ait pas encore créé les dizaines de milliers de places d'accueil nécessaires, et qu'elle ait tardé à solliciter une série de mécanismes d'aide européens.
La Grèce a répondu jeudi en demandant l'activation du "mécanisme européen de protection civile" afin de recevoir de l'aide en matériel et en personnels. Mais si le ministre grec Iannis Mouzalas a admis des "retards et défaillances", il a aussi mis en cause l'absence de réponse européenne à des demandes grecques.
"Ce ne sont pas les Grecs ni les Italiens qui font que les +hotspots+ ne marchent pas", avance une source européenne. "Tant que certains Etats du Nord ne disent pas qu'ils ne prendront que des gens qui passent par les +hotspots+, c'est un signal" pour les migrants qui marchent vers le Nord.
3 déc 2015, Cédric SIMON
Source : AFP