Trois mois après l'appel d'Angela Merkel pour accueillir les réfugiés, loué par une partie de la planète, c'est une Europe divisée et souvent confuse dans sa réponse qui tente de faire face à un afflux sans précédent de migrants.
Nommée personnalité de l'année 2015 par Time Magazine, saluée pour son courage par Barack Obama, Mme Merkel s'est distinguée en Europe en prônant l'ouverture des frontières début septembre, quelques jours après l'électrochoc de la photo du cadavre du petit Aylan retrouvé noyé sur une plage turque.
"La décision allemande a fortifié l'Union européenne sur ses valeurs. Le problème, c'est qu'il s'agit d'une décision unilatérale dans un contexte commun", souligne Yves Pascouaud, chercheur au think tank European Policy Centre à Bruxelles.
Certains ont reproché à la chancelière d'avoir créé un appel d'air, en particulier les pays d'Europe de l'Est qui se sont trouvés en première ligne sur la route de la plus grave crise migratoire depuis 1945. Mais "empêcher les gens de venir aurait mené à la catastrophe", observe Matthieu Tardis, de l'Institut français des relations internationales (Ifri).
Pour ce dernier, Angela Merkel s'est tenue aux règles, appliquant le droit international et européen en refusant de refouler des réfugiés fuyant la guerre en Syrie.
"Ce qui se passe en Europe est avant tout une crise de l'Europe, des institutions européennes, du projet européen", martèle M. Tardis.
La première bordée contre Mme Merkel est venue du Premier ministre hongrois Viktor Orban, qui a vitupéré contre sa "morale impérialiste". La Hongrie a été le premier pays à ériger une clôture à sa frontière, suivi de la Slovénie, de l'Autriche ou encore de la Macédoine.
Schengen craque
Des côtes turques à la Grèce et sur la route des Balkans, à travers la Hongrie, l'Autriche, jusqu'en Allemagne et en Scandinavie, ont transité des centaines de milliers de migrants. L'Allemagne devrait dépasser le million de demandeurs d'asile d'ici le 31 décembre.
Face à cette pression, Berlin a rétabli les contrôles à ses frontières, une exception prévue par les règles de Schengen, déclenchant un "effet domino" dans plusieurs pays.
Les contrôles "temporaires" sont certes autorisés par le règlement qui régit les 26 pays de l'"espace Schengen", un des piliers du projet européen avec la monnaie unique.
"Mais le grand danger qui guette, ce serait que les Etats membres maintiennent les contrôles aux frontières intérieures en dehors des règles et de manière permanente", met en garde Yves Pascouaud.
Malgré une réponse rapide des instances européennes, la situation, aux portes de l'hiver, est loin d'être réglée, et les migrants ne désemplissent pas les "hotspots" (centres d'enregistrement).
La Suède, par exemple, malgré sa généreuse politique d'accueil, atteint ses limites et a resserré ses conditions pour obtenir un droit de séjour.
Et l'irritation monte à l'encontre de la Grèce, principale porte d'entrée des migrants dans l'UE, plongée en pleine crise économique mais pressée de mieux gérer l'enregistrement des réfugiés.
Son voisin macédonien a décidé de ne plus laisser rentrer que certaines nationalités, bloquant les autres et provoquant des mouvements de mécontentement. Une poignée de migrants se disant iraniens se sont cousus les lèvres en protestation.
L'Allemagne, 'leader ambigu'
Pour Judy Dempsey, analyste de Carnegie Europe, Angela Merkel n'était prête ni à l'énorme bond des demandes d'asiles ni aux retombées politiques.
"Après avoir accueilli les réfugiés, Berlin n'a maintenant d'autre option que d'établir une politique durable", écrivait-elle récemment, avant d'ajouter: "La réponse de Merkel a jeté l'Allemagne dans un rôle de leader ambigu"...
Aux côtés de Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, la chancelière allemande a poussé pour la "relocalisation" de 160.000 demandeurs d'asile en deux ans depuis la Grèce et l'Italie dans le reste de l'Union.
Une solution décidée entre les Etats membres mais aujourd'hui vivement contestée devant la Cour de justice de l'UE par la Hongrie et la Slovaquie.
Grands apôtres du principe de solidarité, Mme Merkel et M. Juncker tentent toujours de faire accepter l'idée d'un "mécanisme permanent de relocalisation" afin de faire face à la crise migratoire à long terme. En vain jusqu'à présent.
Ils se font aussi les avocats d'un programme de "réinstallation" pour transférer des réfugiés directement dans les pays européens depuis les camps de Turquie, de Jordanie et du Liban.
Mais cette initiative allemande a été balayée d'un revers de main par le Luxembourg, qui assure la présidence tournante du Conseil de l'UE: "Illusoire", a asséné son ministre des Affaires étrangères Jean Asselborn.
11 déc. 2015,Lachlan CARMICHAEL et Marine LAOUCHEZ
Source : AFP