Le projet de la Commission européenne d'étendre les prérogatives communautaires dans la protection des frontières extérieures de l'Union, qui sera détaillé ce mardi, suscite des résistances de la part de certains Etats membres.
L'objectif de Bruxelles est de renforcer les contrôles aux frontières face à la crise migratoire sans précédent depuis la Deuxième Guerre mondiale que l'Europe subit cette année.
Selon les dernières données de l'agence européenne de statistiques Eurostat, quelque 812.000 personnes ont demandé l'asile dans l'UE sur les trois premiers trimestres de l'année en cours. A ce rythme, le total de demandes d'asile atteindra le million d'ici la fin de l'année.
La Commission Juncker souhaite créer une nouvelle force, une Agence européenne de garde-côte et des frontières qui, contrairement à l'actuelle agence Frontex, serait habilitée à intervenir aux frontières extérieures sans le consentement préalable de l'Etat concerné.
Cette force pourrait compter un millier d'agents permanents (contre 400 pour les effectifs de l'actuelle Frontex) et serait en mesure de piocher au besoin dans un "réservoir" de 1.500 agents supplémentaires mobilisables en quelques jours. Elle disposerait d'un budget au moins deux fois plus important que celui de Frontex.
UNE "OPTION NUCLEAIRE"
L'initiative vise particulièrement la Grèce, en première ligne sur la frontière sud-est de l'espace Schengen, où les pouvoirs publics peinent à gérer les arrivées massives de migrants et de réfugiés (au moins 700.000 depuis le début de l'année d'après Frontex).
Des fonctionnaires européens estiment que cette capacité à intervenir sans le feu vert du pays concerné serait largement théorique - ils parlent d'"option nucléaire" - et notent que toute atteinte à la souveraineté nationale serait équilibrée par la possibilité donnée à une majorité d'Etats membres de bloquer une intervention de la Commission.
"Nous pensons que la situation actuelle justifie une certaine ambition", a déclaré vendredi un porte-parole de la Commission, exprimant sa confiance sur la réaction des Vingt-Huit.
Le projet Juncker sera abordé par les chefs d'Etat et de gouvernement des Vingt-Huit qui se réunissent jeudi et vendredi en sommet à Bruxelles.
A défaut d'un renforcement des frontières extérieures, plaident de hauts fonctionnaires de l'UE, un nombre croissant d'Etats rétabliront les contrôles à leurs propres frontières, menaçant de fait l'espace de libre-circulation de Schengen, auquel participent 22 Etats membres de l'UE.
Mais l'unanimité ne semble pas de mise.
Dans une lettre commune adressée à Frans Timmermans, premier vice-président de la Commission, et Dimitris Avramopoulos, commissaire européen chargé des Migrations, les ministres français et allemand de l'Intérieur ont appuyé un renforcement des moyens européens de contrôle aux frontières extérieures.
"Dans des circonstances exceptionnelles, Frontex devrait pouvoir prendre l'initiative de déployer sous sa propre responsabilité des équipes d'intervention rapide aux frontières", estiment Bernard Cazeneuve et Thomas de Maizière.
L'Italie, autre porte d'arrivées massives du fait de sa situation géographique, réclame aussi une "européanisation" des frontières extérieures et le gouvernement grec d'Alexis Tsipras a accueilli favorablement vendredi l'idée d'une agence européenne chargée de la surveillance des frontières maritimes de l'Union.
"LA COMMISSION TESTE NOS LIMITES"
Pour d'autres pays européens en revanche, le projet va trop loin. A en croire un diplomate d'un pays européen, ils seraient même majoritaires. "Cette idée, prédit-il, va se heurter à l'opposition de la plupart des Etats membres. Une telle solution s'immiscerait trop dans les compétences intérieures des Etats membres."
"La Commission teste nos limites", estime un autre diplomate qui compare ce projet au controversé mécanisme prôné par la Commission Juncker de répartition obligatoire par quotas des migrants arrivés en Europe.
Le ministre polonais des Affaires étrangères, Witold Waszczykowski, y voit une institution communautaire qui déciderait arbitrairement d'intervenir sans la participation de l'Etat membre concerné. "C'est l'une des décisions que nous allons contester", a-t-il ajouté dimanche au micro de la radio RMF.
A Bruxelles, même les partisans du projet conviennent que la résistance risque d'être vive. "Tout le monde est pour un renforcement de Frontex mais dès qu'il s'agira d'une garde-côte commune, il faudra voir comment cela va se passer. Il y a des inquiétudes", a dit un diplomate.
Il faudra attendre mardi et la présentation du plan de la Commission pour que les gouvernements des Vingt-Huit se positionnent plus clairement. Des diplomates anticipent d'ores et déjà que des capitales européennes réclameront au moins des garanties et des protections contre une obligation d'agir sur ordre de l'exécutif européen.
14 déc. 2015,Alastair Macdonald
Source : REUTERS