Dans l'afflux des réfugiés sans précédent en Europe, l'année 2015 aura été marquée en Autriche, doublement confronté à cette crise en tant que pays de transit et d'accueil, par deux événements tragiques. Deux drames qui illustrent la détresse des migrants, au cœur de l'Europe.
D'abord et surtout, la tragédie des réfugiés retrouvés morts le 27 août dernier dans un camion hermétiquement fermé sur une autoroute autrichienne, 71 victimes dans un état de décomposition avancée dans ce véhicule abandonné sur la bande d'arrêt d'urgence au niveau de l'autoroute A4 dans la région du Burgenland, à la frontière hongroise. Très vite, l'enquête de la police autrichienne révèle l'existence d'une filière de passeurs en majorité des bulgares mais il aura fallu environ trois mois pour identifier 69 des 71 des victimes. Les migrants morts dans cette tragédie de l'immigration au cœur même de l'Europe, sont des irakiens, des afghans, des syriens et des iraniens, selon les conclusions formelles des médecins légistes autrichiens.
Cette tragédie innommable suscite l'émoi et l'indignation dans le pays et le monde entier. Un drame de l'immigration parmi tant d'autres qui vont pousser l'Europe et la communauté internationale à réfléchir sérieusement sur les possibilités d'ouvrir les portes aux milliers migrants qui prennent la mer et la route chaque jour pour rejoindre un pays d'accueil en Europe, loin des guerres, des persécutions et de la misère.
Pendant des semaines, quelques jours après cette tragédie, les réfugiés de toutes les nationalités auront un laissez-passer exceptionnel, inespéré. Des semaines portes ouvertes à l'initiative de l'Allemagne qui a enregistré cette année 1 million de réfugiés mais ce fléchissement de la position des européens face aux migrants ne va pas durer trop longtemps. Et pour cause, le fardeau est lourd et la haine de l'étranger commence à prendre des proportions alarmantes. Commence alors la politique de l'entonnoir avec à la clé la fermeture des frontières dans certains pays de transit dans les pays des Balkans et même au-delà.
Carrément submergée par le flot des refugiés, l'Autriche vient d'emboîter le pas aux autres pays qui ont fermé leurs frontières en édifiant une clôture de grillage de 3,7 KM au niveau de sa frontière sud avec la Slovénie, une première dans l'espace Schengen. L'Europe se barricade.
Deuxième drame, presque un mois avant la tragédie du camion de la mort, les médias nationaux et internationaux se pencheront sur la situation dramatique et les conditions d'accueil des réfugiés à Traiskirchen, le plus grand centre de rétention des demandeurs d'asile en Autriche, à environ 35 KM au sud de Vienne. Un camp qui abritait plus de 4.500 réfugiés dont 1.700 mineurs non accompagnés alors que sa capacité est de seulement 1.800 lits, ce qui a contraint les réfugiés en surnombre à dormir à l'extérieur des dortoirs à même le sol.
A telle enseigne que la Ligue autrichienne des droits de l'homme et des partis politiques autrichiens, notamment NEOS-La nouvelle Autriche et les Verts ont attribué le surnom peu flatteur de "camp de la honte" à Traiskirchen qui est majoritairement occupé par des syriens, des irakiens et des afghans.
Même indignation exprimée par les organisations internationales des droits de l'homme, Médecins sans Frontières (MSF) et le Haut-commissariat des Nations-Unis pour les réfugiés (HCR), jugeant que la situation sanitaire dans les lieux est "inadmissible" et "inhumaine".
De même, les associations d'aide aux réfugiés ont organisé plusieurs manifestations devant le camp en protestation contre la situation des demandeurs d'asile, jugée également inadmissible par les autorités autrichiennes qui ont immédiatement décrété la fin des admissions de nouveaux migrants dans le camp et ce, en raison de sérieux risques sanitaires.
Pour remédier à la situation et éviter une catastrophe humanitaire, le gouvernement fédéral autrichien a fait pression sur les Etats-régions réticents pour accueillir plus de réfugiés et répartir équitablement le fardeau, selon des quotas. Le gouvernement fédéral a également mis en œuvre plusieurs solutions de parade, notamment l'hébergement dans des campements de tentes, les campus des écoles de police, la location d'appartements ou encore l'externalisation de l'asile, et ce, en signant un accord avec la Slovaquie qui porte sur l'hébergement temporaire dans ce pays voisin de 500 demandeurs d'asile en instance de régularisation en Autriche.
Une relocalisation qui a suscité la désapprobation, d'abord de la population de la ville de Gabcikovo dans l'ouest de la Slovaquie où sont logés les réfugiés, et aussi, l'indignation, en Autriche, notamment de la part de l'organisation "Asylkoordination", qualifiant cela comme étant une sous-traitance et "une solution à l'Australienne". L'organisation qui chapeaute plusieurs associations d'aide aux réfugiés, a même exprimé ses craintes quant à une généralisation de cette option moins coûteuse et moins contraignante pour les autorités autrichiennes qui seraient tentées par des arrangements similaires avec d'autres pays comme la Roumanie et la Bulgarie.
Cette vague des migrants avec son lot de drames, le plus grand défi pour l'Europe depuis les années sanglantes de la deuxième guerre mondiale, suscite à la fois des divisons et des solidarités, des sentiments de rejet et de bienvenue. Mais, il est à craindre que toutes les bonnes volontés ne parviennent pas à répondre à cette forte demande qui va crescendo. A moins que les dirigeants des pays européens parviennent à une solution politique globale de la crise migratoire et surtout, qu'ils s'attaquent aux origines de ce drame planétaire dans les foyers de tension.
Car, malgré toutes les tentatives et les sommets européens, le problème reste entier. Trop de réfugiés et peu de places mais surtout une politique migratoire européenne à plusieurs vitesses et une solidarité effritée. A cela s'ajoutent, la montée en force du mouvement néo-nationaliste et populiste et la crise économique en Europe.
Autant de facteurs qui font que la cause des migrants est perdue d'avance et que l'immigration n'est plus cette chance qui avait permis, autrefois, à l'Europe de se reconstruire.
15 déc. 2015,Rachid Sami
Source : MAP