Pour beaucoup de réfugiés, la Pologne n'est qu'un lieu de transit vers d'autres pays de l'Union européenne plus riches et plus accueillants.
"Personne ne veut rester ici. Impossible de trouver du travail, un appartement, on n'a pratiquement aucune aide financière. C'est pour cela que tout le monde part", explique une Tchétchène musulmane d'une trentaine d'années, élevant seule trois enfants, dans le centre d'accueil de réfugiés à Linin, au sud de Varsovie.
Elle cache son visage et ne veut pas donner son nom de peur d'avoir des problèmes.
En Pologne, la politique d'intégration est plus virtuelle que réelle et rares sont les réfugiés qui veulent s'établir dans ce pays, jugeant la majorité des Polonais hostile aux migrants, surtout s'ils sont musulmans.
Entre mai et octobre, le nombre de personnes hostiles à l'accueil de réfugiés a plus que doublé, grimpant de 21% à 43%, tandis que le nombre de personnes favorables a chuté de 72% à 54%, selon une étude de l'institut CBOS.
Adnan Saad, réfugié chrétien arrivé en Pologne avec sa famille et quelque 200 autres Syriens grâce à une ONG chrétienne, voulait initialement s'y ancrer, alors que la plupart de ses compatriotes ont choisi l'Allemagne.
Aujourd'hui, il rejoint petit à petit leur point de vue. Les autorités polonaises "nous ont donné des papiers et ont légalisé notre situation, c'est bien, mais c'est maintenant que nous avons besoin d'aide !", lance-t-il.
"Je me dis que ceux qui sont partis pour l'Allemagne ont sans doute eu raison", déclare-t-il.
'Risque d'itinérance'
En 2014, plus de 6.500 personnes ont demandé le statut de réfugié en Pologne, en majorité des Tchétchènes.
Une fois leur demande déposée, ces personnes sont placées dans des centres d'accueil comme celui de Linin.
Installé dans une ancienne caserne bien aménagée, le centre héberge actuellement 217 personnes, dont principalement des Tchétchènes musulmans. Les réfugiés reçoivent trois repas par jour, un bus emmène les enfants à l'école, les adultes peuvent suivre des cours de polonais... Jusque-là, peu à redire.
Le plus dur vient après la sortie du centre. "Si la politique d'accueil fonctionne, celle d'intégration n'existe que sur le papier", dénonce Daniel Brzezinski, d'une ONG travaillant avec les enfants immigrés.
Après leur départ du centre, l'Etat offre aux réfugiés entre 100 et 270 euros par mois pendant un an. Ensuite, ils sont quasiment abandonnés à leur propre sort, aidés seulement par des ONG et les autorités locales qui proposent des cours de polonais ou les assistent dans certaines démarches administratives.
Dans un récent rapport, la Cour des comptes polonaise NIK écrit que "l'absence de logements, et par conséquent un risque d'itinérance, le manque d'emplois et le fait que les prestations financières soient plus élevées en Europe de l'ouest dissuadent les réfugiés de rester en Pologne".
"L'absence de politique d'intégration de l'Etat est aussi une politique, je pense que c'est un choix délibéré même si c'est impossible à démontrer", estime Piotr Bystrianin de la fondation "Ocalenie" (Salut) qui travaille à intégrer les immigrés.
'Comme des lépreux'
L'attitude des conservateurs populistes et nationalistes du Droit et Justice (PiS) au pouvoir depuis la fin octobre est loin de rassurer les immigrés.
Le leader du PiS, Jaroslaw Kaczynski, a habilement surfé cet automne sur la peur de l'étranger lors de la campagne pour les législatives, allant jusqu'à évoquer des dangers épidémiologiques et "toutes sortes de parasites" que les migrants risqueraient, selon lui, d'introduire en Pologne.
"Aujourd'hui, les réfugiés ont peur, ils se sentent menacés", dit M. Bystrianin. "Et ce sont les enfants immigrés qui souffrent le plus. Les termes +réfugié+ ou +émigré+ sont devenus les pires des insultes dans les écoles", dit-il.
Depuis moins d'un an, et surtout "depuis les attentats de Paris, les réfugiés sont traités pratiquement comme des lépreux" par certains, juge lui aussi M. Brzezinski.
"Avant, les immigrés étaient bien vus" mais "le sujet n'était pas exploité politiquement", ajoute-t-il, rappelant que par le passé, la Pologne a vu arriver quelque 90.000 Tchétchènes sans que cela provoque des tensions sociales. Mais ces derniers sont, eux aussi, pour la plupart partis.
"On a refusé d'inscrire mes enfants à l'école uniquement parce qu'ils étaient tchétchènes... J'ai dû supplier une directrice. Ce n'est pas un pays pour les réfugiés", estime la jeune Tchétchène rencontrée au centre d'accueil de Linin.
16 déc 2015,Bernard OSSER
Source : AFP