De plus en plus de ministres et hauts responsables socialistes avouent leur gêne ou leur opposition à une mesure que le gouvernement propose d'inscrire dans la Constitution.
Un beau piège. Duquel l’exécutif semble avoir beaucoup de mal de se dépêtrer. En proposant, quelques jours après les attentats du 13 novembre, de déchoir de la nationalité française les citoyens «nés Français» - mais disposant d’une autre nationalité - jugés coupables pour des faits de terrorisme, voilà François Hollande, son gouvernement et sa majorité dans une belle galère: personne n’est prêt, à gauche, à inscrire dans la Constitution une mesure réclamée par l’extrême droite mais personne, non plus, ne sait comment rétropédaler.
Jusqu’à présent, plusieurs membres du gouvernement comptaient sur l’avis du Conseil d’Etat pour expliquer que cette proposition serait contraire à d’autres articles de la Constitution - par exemple le 1er qui «assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine» - ou bien aux engagements internationaux signés par la France. Mais selon plusieurs médias, cet avis, depuis lundi sur le bureau du Premier ministre… ne va pas aider Hollande et Valls. Au contraire : les magistrats du Conseil d’Etat n’auraient rien à dire du point de vue juridique mais renverraient l’exécutif à ses propres responsabilités.
Prudence à Matignon
Passé le choc des attentats et l’union autour de Hollande après ses annonces du 16 novembre devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles, les langues socialistes commencent à se délier. Y compris au plus haut niveau. Alors qu’en juin 2014, Manuel Valls expliquait qu’il n’y avait «pas de tabou» sur cette question, le Premier ministre s’est montré très prudent, mardi soir, devant plusieurs journalistes. Le chef du gouvernement ne semble ainsi pas prêt à pousser cette mesure qui risque de fracturer son propre camp. D’autant plus qu’au-delà du symbole, cela n’empêcherait pas des binationaux de revenir en France commettre des attentats.
Un argument que l’on retrouve dans la bouche de plusieurs ministres ces dernières semaines. «Je ne suis pas favorable à la déchéance de nationalité», lâche l’un d’entre-eux avant de s’interroger: «Est-on obligé de mettre en place quelque chose qui ne servira à rien ? Je vois l’effet déflagrateur que cela peut avoir dans notre camp. Pas l’effet dans la lutte contre le terrorisme.» Une de ses collègues glisse que Hollande et Valls ont été «plus inspirés» par le passé et doivent «vite sortir» de ce débat. Une autre se dit «bousculée» par le fait que la gauche puisse créer «deux catégories de Français». Jusqu’à présent, dans la majorité, on avait seulement entendu une partie de l’aile gauche du PS et le premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis, prendre leurs distances avec une proposition que la gauche a toujours combattue.
Si l’Elysée renvoie pour l’instant vers Matignon, Hollande doit arbitrer avec Valls sur le sujet d’ici la fin de la semaine. Le projet de loi constitutionnel - qui comprend aussi un paragraphe sur l’état d’urgence - doit être présenté mercredi prochain en conseil des ministres. Encore quelques jours pour trouver la bonne porte de sortie.
16 décembre 2015, Lilian Alemagna
Source : liberation.fr