samedi 23 novembre 2024 15:09

Des frontières et des hommes, au musée de l'immigration

Jusqu’au 29 mai, le Musée de l’immigration, à Paris, consacre une foisonnante exposition au thème brûlant des « frontières ».

 « La mondialisation n’a pas supprimé les frontières, elle les a au contraire multipliées. » Ce constat dressé par l’anthropologue Michel Agier (1) résume bien la brûlante actualité du thème des « frontières » auquel le Musée de l’histoire de l’immigration à Paris consacre une exposition.

Proposé dès 2011, juste après les printemps arabes, par la politologue Catherine Wihtol et l’historien Yvan Gastaut, ce projet s’est imposé comme une évidence au fil des mois, avec l’arrivée massive en Europe de réfugiés fuyant les zones de guerre, évoquée dans le musée par une moisson d’articles de presse.

Des murs qui poussent partout dans le monde

Dès la première salle, des photographies révèlent un florilège édifiant des murs qui poussent partout dans le monde contre les flux migratoires : au sud des États-Unis comme entre les deux Corées, dans le Sinaï comme à la frontière de l’Inde et du Bangladesh, sans parler de celui tout récent entre la Hongrie et la Serbie…

Des géographes en ont recensé plus d’une cinquantaine s’étendant sur plus de 20 000 km au total.

Face aux crispations identitaires et à la tentation du repli nationaliste, encore accrue en Europe depuis les attentats de Paris, le musée propose de prendre un certain recul historique. Des documents et photos retraçant l’érection puis la chute du mur de Berlin, démontrent, notamment, combien les frontières, apparemment les plus infranchissables, se révèlent toujours poreuses et finissent par céder sous la pression des peuples.

L’ancienneté du phénomène migratoire

Le témoignage filmé du dessinateur alsacien Tomi Ungerer permet d’évoquer le destin des hommes ballottés au gré des changements de frontières. Le rappel des différentes vagues migratoires qu’a connues la France témoigne de l’ancienneté de ce phénomène dans l’Hexagone par rapport au reste de l’Europe.

En fait, rappellent les commissaires, « jusqu’au XIX e  siècle, il était plus facile d’entrer dans un pays que d’en sortir, car les pays maintenaient derrière leurs frontières leurs sujets qui représentaient une force de travail, autant qu’une ressource fiscale et militaire ».

Partout dans l’exposition, des cartes géographiques montrant les flux migratoires, des panneaux retraçant les évolutions législatives, comme les accords de Schengen, aident à l’analyse.

Mais loin d’être uniquement théorique, le parcours est aussi illustré de nombreux témoignages filmés comme celui de Shahab Rassouli, un jeune Afghan réfugié en Iran avec sa famille qui est parti, seul, à 14 ans, vers l’Europe dans l’espoir d’y poursuivre des études.

Du port de Marseille à la Jungle de Calais

Les œuvres de plus d’une quarantaine d’artistes, peintres, plasticiens et photographes, humanisent aussi ces histoires de migration, par-delà la froideur des chiffres. Thomas Mailaender a photographié les Voitures cathédrales, chargées de piles de bagages, croisées dans le port de Marseille.

Bruno Serralongue s’est attaché, lui, à la « jungle » de Calais et ses cabanes dérisoires, tandis que Sarah Caron a suivi le long périple vers l’Europe des migrants du Sud-Sahara, vêtus de leur plus beau costume comme pour un rendez-vous décisif…

Mais les zones de friction des frontières sont aussi, on le sait, celles qui favorisent toutes sortes de mafias, de rackets, de violences et d’abandons, contre les règles du droit. Les photos de Laetitia Tura, une vidéo de Charles Heller et Lorenzo Pezzani racontent ainsi le destin tragique de ceux qui n’achèveront jamais leur voyage, noyés en Méditerranée, comme 10 000 autres personnes depuis 1998, selon des estimations. Face à de telles tragédies, le musée s’interroge en conclusion sur l’utopie d’un « Monde sans frontières ? »

  La borne frontière de Brancusi

Constantin Brancusi, jeune immigré roumain arrivé à Paris en 1904 où il devint l’un des plus grands sculpteurs de l’art moderne, a apporté « sa » réponse.

Au cœur de l’exposition trône la Borne frontière qu’il tailla, en 1945, juste au sortir de la guerre. C’est une borne en effet, dressée par un empilement de trois blocs de calcaire, avec, ciselée sur ses quatre faces, comme aux quatre points cardinaux, la rencontre de deux personnages stylisés… se donnant un baiser de paix.

1/1/2016, SABINE GIGNOUX

Source : la-croix.com

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