Si le début de chaque année est synonyme de bonnes résolutions, certains pays de l'UE ont en pris une mauvaise, qui ne sert en rien le sacro-saint principe de l'unité et de l'intégration de l'Europe, tel que rêvé par les pères fondateurs de l'Union, et ont choisi le retour aux contrôles des frontières intérieures.
Analystes et observateurs s'accordent à dire que le projet européen, fondé sur la liberté, l'ouverture et la solidarité, est en train de s'effilocher. Les plus pessimistes vont jusqu'à prédire que l'Europe court, à terme, un sérieux risque de désagrégation.
L'alerte n'émane pourtant pas des eurosceptiques, dont la voix n'a jamais été aussi audible au sein de la société, mais plutôt des responsables européens eux-mêmes. Fin décembre dernier, le commissaire européen chargé du numérique, l'Allemand Günther Oettinger, n'y est pas allé avec le dos de la cuillère : 'Je perçois pour la première fois un danger sérieux de désagrégation de l'UE'', a-t-il mis en garde.
Quelques jours après, le ministère allemand des affaires étrangères a tiré, une énième fois, la sonnette d'alarme.
Par la voix de son porte parole, le ministère allemand des Affaires étrangères a estimé que 'les principes de Schengen et de libre circulation au sein de l'Union européenne sont en danger''. Cette déclaration est intervenue en réaction à la décision du Danemark d'instaurer des contrôles à la frontière avec l'Allemagne, le jour même de l'entrée en vigueur de mesures restrictives d'entrée de migrants en Suède.
Le Danemark et la Suède n'étaient pourtant pas les premiers à franchir le pas. Avant eux, une dizaine de pays avaient rétabli à divers niveaux les contrôles à leurs frontières. Certains Etats (Hongrie, Slovénie) ont même érigé des clôtures anti-migrants.
Et comme pour justifier ces décisions, dont la symbolique éloigne un peu plus l'UE d'aujourd'hui de celle de Robert Schuman, des responsables, au plus haut niveau, y vont de leur 'petite analyse''. Récemment, le président tchèque Milos Zeman, connu pour son discours hostile aux migrants, a estimé que 'la confrérie des Frères musulmans égyptiens était derrière l'actuelle vague de plus d'un million de nouveaux arrivants en Europe''. Sic !.
Si la décision du Danemark, tout comme celle de la Suède et d'autres pays, est conforme aux accords de Schengen, qui permettent de rétablir des contrôles aux frontières dans des cas exceptionnels, le recours systématique et surtout, sans concertation avec les voisins et les autorités européennes, irrite à plus d'un titre.
Quelles que soient leurs tendances politiques, les principaux groupes au sein du Parlement européen s'opposent fermement à la réintroduction des contrôles aux frontières internes de l'UE.
L'alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe (ALDE), de l'ancien Premier ministre belge Guy Verhofstadt, a estimé que la réintroduction des contrôles frontaliers 'ne contribuera pas à diminuer l'afflux de migrants arrivant en Europe''.
'Réintroduire des contrôles frontaliers dans des circonstances exceptionnelles et pour une courte période est peut-être légal, mais cela n'est pas du tout une solution à la crise des réfugiés en Europe. L'accord de Schengen n'est pas la raison pour laquelle nous faisons face à des pressions migratoires sans précédent'', a-t-il souligné.
Les ONGs qui viennent en aide aux milliers de migrants arrivés en Europe, dont la plupart fuie les guerres et les violences notamment en Afghanistan, en Irak et en Syrie, ne décolèrent pas de voir les portes de l'Europe fermées à double tour. Certaines n'hésitent point à comparer la situation actuelle à une nouvelle construction du mur de Berlin.
Loin de la gestion quotidienne de la crise des réfugiés, qui semble prendre toute l'Europe de court, d'aucuns s'interrogent sur la viabilité même d'une Union frappée de plein fouet par une succession de crises financière, économique, sociale et identitaire.
Cette crise a dévoilé au grand jour le hiatus entre l'Est et l'Ouest, entre les fondateurs et les derniers arrivants, entre une Europe à deux, voire à plusieurs vitesses, entre des économies qui résistent et d'autres qui décrochent, entre deux conceptions de la souveraineté, deux approches de l'histoire européenne, deux définitions de la solidarité.
Face à ce constat, les interrogations pullulent : Etait-il judicieux de poursuivre l'élargissement de l'UE à l'Est ? Les maux de l'Union résident-t-ils réellement dans l'élargissement ou plutôt dans son hétérogénéité et son organisation politique ? N'est-il pas vital aujourd'hui de faire une longue pause pour repenser l'Europe ?.
Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, l'a bien admis. Dès son entrée en fonction, il avait affirmé qu'aucune nouvelle adhésion ne serait signée sous son mandat à la tête de l'Exécutif européen. Pas sûr, diront d'autres, qu'une pause suffirait à revigorer une Union à bout de souffle.
08 janv. 2016,Morad Khanchouli.
Source : MAP