Confisquer leurs biens aux réfugiés est-il moral ? Les parlementaires danois examinent à partir de mercredi un projet de loi controversé et largement symbolique qui témoigne du raidissement grandissant des Européens face à l'afflux de migrants.
Le texte défendu par les libéraux de Venstre, parti du Premier ministre Lars Løkke Rasmussen, sera débattu en session publique puis en commission avant un vote au résultat très incertain prévu le 26 janvier.
Mesure de justice sociale pour les uns, taxe sur la misère pour les autres, le projet de loi donne pouvoir aux policiers de "saisir des biens que les demandeurs d'asile apportent avec eux afin de couvrir leurs besoins en alimentation et en hébergement".
Dans une première mouture, il prévoyait que les migrants seraient autorisés à conserver un pécule de 3.000 couronnes danoises (environ 400 euros).
Mais devant le tollé soulevé en particulier à l'étranger, la ministre de l'Immigration et de l'intégration, Inger Støjberg, a présenté une version édulcorée en fin de semaine dernière, portant le montant à 10.000 couronnes.
Pas question, pour autant, de revenir sur le fond. "Au Danemark, si on peut se débrouiller seul, on se débrouille seul. C'est un principe qui doit s'appliquer aux demandeurs d'asile comme il s'applique aux Danois", fait-elle valoir.
Le texte bénéficie du soutien du Parti populaire danois (DF), formation eurosceptique et anti-immigration qui influence la politique danoise depuis une quinzaine d'années et assure une majorité parlementaire à la droite depuis les élections de juin 2015.
Deux autres formations de la majorité, les conservateurs et l'Alliance libérale, réservent leur position en exigeant que soit gravée dans le marbre l'exemption des bijoux et autres biens ayant une valeur affective pour leurs propriétaires.
La ministre les a entendus en excluant des saisies les "effets à usage personnel comme les montres et téléphones portables" mais aussi "bagues de mariage ou de fiançailles, portraits de famille, médailles ou assimilés".
Les sociaux-démocrates, qui n'ont pas eux-mêmes manqué de restreindre les conditions de séjour lorsqu'ils étaient aux affaires entre 2011 et 2015, réclament les mêmes assurances.
'On ne peut pas tout prendre'
Les autres partis de gauche sont vent debout contre la proposition, accusant la droite de vouloir faire payer aux réfugiés les baisses d'impôt promises. Mais ils se placent avant tout sur le terrain des valeurs.
"Humiliés, méprisés, insultés, dépouillés des derniers effets qu'ils ont pu sauver de leur logement dévasté, ils sont conduits à se demander si la mort par noyade n'aurait pas été préférable", écrivait le 8 janvier l'écrivain danois Carsten Jensen dans le quotidien suédois Dagens Nyheter.
En décembre, le Washington Post déplorait une méthode "connotée en Europe où les nazis ont confisqué de grandes quantités d'or et d'autres biens aux juifs et à d'autres".
Pour Juel Frandsen, porte-parole du Conseil des réfugiés danois (DFH), "la mesure semble surtout symbolique". "D'après ce que nous savons, rares sont ceux qui transportent des effets de valeur de ce genre", estime-t-il.
Au centre pour demandeurs d'asile d'Auderod, à 60 km au nord-ouest de Copenhague, une majorité des migrants interrogés par l'AFP s'étonne qu'on veuille leur subtiliser un patrimoine qu'ils n'ont pas.
"Je dois 7.000 euros (que j'ai empruntés) pour venir ici", explique Farhad Moradi, un étudiant kurde de 22 ans.
Tarek Issa, une étudiante de 25 ans venue de Hama en Syrie, raconte que les siens ont tout vendu, "notre maison, notre restaurant", pour financer leur exil. Sur elle, les policiers danois feraient main basse sur "100 euros peut-être", s'amuse-t-elle.
Sarah Alimalayeri, une ingénieure en informatique iranienne, se dit elle prête à abandonner son bracelet et son collier en or. "On ne peut pas tout prendre, mais il y a un juste milieu".
Dans un entretien récent à l'AFP, Martin Henriksen, porte-parole de DF, reconnaissait que les confiscations ne suffiraient pas à financer le séjour des demandeurs d'asile. Il s'agit avant tout, selon lui, d'un "signal" destiné à les dissuader de venir au Danemark.
Avec 21.000 dossiers enregistrés en 2015, le Danemark est l'un des pays de l'Union européenne ayant reçu le plus grand nombre de demandes d'asile eu égard à sa population (5,4 millions), derrière la Finlande, l'Autriche, l'Allemagne et la Suède qui en a reçu 163.000.
12 anv. 2016,Sören BILLING
Source : AFP