Khadija Arib est née en 1960 à Oulad Saïd. Son père était un propriétaire terrien prospère, avant que la fortune dont il a hérité ne fonde comme neige au soleil en l’espace de quelques années. D’où une quête infructueuse d’emploi à Casablanca et émigration vers les Pays-Bas en 1967. Khadija, fille unique, demeurera avec sa mère au Maroc jusqu’en 1975.
A son arrivée à Amsterdam, elle parlait à peine le français et encore moins le néerlandais.
La commune où elle résidait lui a alors proposé des cours d’alphabétisation. Elle lui confia ensuite un travail : accueillir et prendre en main ceux parmi les Marocains qui étaient à la recherche d’un poste d’emploi, d’un toit, ou même d’un conseil. Petit à petit, elle enrichit aussi bien son expérience que son vocabulaire. Elle décroche alors une place à l’Académie sociale pour devenir assistante. Ensuite, elle s’inscrit à l’université pour suivre une formation en sociologie. Une formation qui l’aidera plus tard à saisir les subtilités de l’immigration. « Mon expérience comme assistante sociale m’a appris une chose, corroborée après le 11 septembre : l’immigré marocain a beau être né en Hollande, en maîtriser la langue, avoir acquis une bonne situation sociale, on lui fait toujours comprendre qu’il est un étranger, un musulman dont on devrait toujours se méfier. Mes collègues députés ne disent plus qu’il y a parmi eux une Marocaine, mais une musulmane », a-t-elle déclaré lors d’une interview.
Au début des années 1980, Khadija s’investit dans l’associatif et crée l’Union des femmes marocaines en Hollande ; association qui milite contre les lois discriminatoires du pays d’accueil. En effet, la délivrance des titres de résidence aux femmes était subordonnée à celle du mari ou du père. En cas de divorce ou de décès de l’un d’eux, elles se trouvaient dans l’obligation de plier bagage et de rentrer chez elle. « Nous avons découvert que les lois hollandaises étaient injustes à l’égard des femmes immigrées, et n’établissent d’égalité que pour les Hollandais. Pour les étrangers, c’est une autre histoire ». La bataille s’annonce alors rude et Khadija s’est efforcée de faire comprendre aux hommes politiques du pays que l’égalité entre les sexes n’était pas une affaire de nationalité mais d’humanité.
En 1993, la jeune et pétillante immigrée est déjà un personnage en vue. Elle est courtisée pour sa capacité à mobiliser et à fédérer. On lui propose alors d’adhérer au Parti travailliste, un parti social-démocrate. Elle y répond favorablement, mais à une seule condition : ne pas faire de la simple figuration. Il lui faut, dans ce cas, devenir membre du bureau politique (BP), lui rétorque-t-on. Ainsi, elle fait tout pour gravir tous les échelons au niveau d’Amsterdam.
Trois années plus tard, le congrès du parti l’a élue membre du BP. L’idée de devenir parlementaire ne lui effleurait même pas l’esprit : au sein des commissions, elle avait assez de pain sur la planche.
En septembre 1997, à une année des élections législatives, Khadija Arib jouissait déjà d’une grande notoriété. Elle figure même au douzième rang des candidats sur la liste nationale présentée par son parti. Sur les 150 sièges à pourvoir, le parti travailliste en obtient 45, dont la moitié ira aux femmes. Elle passe haut la main. Quatre ans plus tard, le P.T traverse une crise intérieure suite à laquelle il perd la moitié de ses sièges lors des élections de 2002. Mais pas Khadija, qui a rempilé et gagne encore une fois les élections.
Une année plus tard, la députée d’origine marocaine décroche un troisième mandat aux élections législatives anticipées. Son grand défi en tant que parlementaire, c’était de poursuivre l’œuvre commencée depuis son arrivée, adolescente, en Hollande: véhiculer une image positive de la communauté et de la femme marocaines au sein de la société hollandaise. Elle souligne, à maintes reprises, que le Parlement néerlandais, n’est pas une Chambre d’enregistrement: il a son mot à dire à propos de tout, y compris la nécessité d’édification d’une crèche de quartier jusqu’à la guerre en Irak.
Mais malgré ses nombreuses préoccupations, elle n’a guère oublié son pays d’origine, qu’elle chérit et visite régulièrement, malgré l’incident qu’elle a souvent narré de manière anecdotique. En 1989, alors qu’elle s’apprêtait à prendre l’avion pour retourner à Amsterdam après un séjour dans le Royaume, la police lui confisqua son passeport et lui fit subir un interrogatoire au sujet de ses activités associatives en Hollande et ses contacts avec quelques opposants marocains. Elle sera mise au cachot elle et ses trois enfants deux jours durant.
Khadija Arib qui a quitté le Maroc pour rejoindre son père aux Pays-Bas à l’âge de 15 ans, a vu ses efforts, sa persévérance et ses compétences récompensés. En tant que candidate du Parti travailliste, elle a été élue à la tête de la Chambre néerlandaise des représentants par 83 voix contre 51 pour son rival de droite. Une belle consécration tant pour elle que pour le Maroc.
15 Janvier 2016, Karima Nadir
Source : Libération