Alors qu’on croyait le pire évité, la nouvelle a plongé le milieu de la photographie dans l’hébétude : la Franco-Marocaine Leila Alaoui est morte lundi soir dans une clinique de Ouagadougou «des suites d’un arrêt cardiaque» dû à des complications post-traumatiques, selon l’agence de presse marocaine MAP.
Touchée (avec son chauffeur, Mahamadi Ouédraogo) devant le café-restaurant Cappuccino, jouxtant l’hôtel Splendid, elle avait été grièvement blessée (thorax, abdomen, rein, jambe et bras) lors de l’attentat jihadiste survenu vendredi dans la capitale du Burkina Faso, où elle effectuait une mission sur le droit des femmes pour l’ONG Amnesty International. Après plus de six heures d’opération, ses jours ne semblaient plus en danger, avant qu’elle ne devienne finalement la troisième ressortissante française parmi les trente victimes ayant succombé sous les balles d’Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi) - Christine Alaoui, sa mère, dénonçant au passage un manque de soutien de la France et fustigeant l’attitude du «consulat à Ouagadougou, en dessous de tout».
«Archiver la diversité culturelle»
Malgré son âge, Leila Alaoui n’était plus à 33 ans une débutante. Encore moins une inconnue. A telle enseigne qu’elle figurait encore au générique parisien de la première Biennale des photographes du monde arabe contemporain, qui a fermé ses portes dimanche. L’événement était réparti de part et d’autre de la Seine, à l’Institut du monde arabe (IMA) et à la Maison européenne de la photographie (MEP), et c’est dans le soubassement du deuxième établissement qu’elle présentait sa série la plus emblématique, constituée de superbes portraits, en grand format couleur, de Berbères vêtus de costumes traditionnels. Une façon pour elle d’«archiver la diversité culturelle et ethnique» d’un pays en mutation, le Maroc, à propos duquel elle dressait un constat artistique lucide qui l’amenait à déplorer une certaine autocensure, toujours pernicieusement observable dans la sphère créative.
Très affecté par sa disparition, Jean-Luc Monterosso, le directeur de la MEP, se souvenait mardi d’une «femme charismatique et attachante, dotée d’une énergie rayonnante, qui allait de toute évidence être amenée à compter dans le monde de la photographie».
Dans son travail exposé à Paris, celui qui avait activement contribué à son émergence voyait, «en écho à Richard Avedon, jadis parti sur les traces de quidams américains ["In the American West, 1979-85", ndlr] , l’ambition de redonner une vie à celles et ceux qui l’avaient un peu perdue». De fait, Leila Alaoui, de par son engagement et sa sensibilité, exprimait clairement le désir d’utiliser le langage photographique, tel un médium permettant d’énoncer sans affectation aucune le préjudice humain des vicissitudes socio-économiques.
Studio mobile
Née en 1982 à Paris, Leila Alaoui avait étudié à la City University de New York. Etablie entre Marrakech et Beyrouth, elle s’était fait connaître au début de la présente décennie en participant à quelques expositions à Madrid, Dubaï ou Amsterdam.
En France, c’est le festival Photomed de Sanary-sur-Mer (Var) qui l’avait d’abord soutenue au printemps 2014, avec ces mêmes Marocains que l’on retrouvera un an et demi plus tard à la MEP, coproductrice du projet mené sur plusieurs années avec un studio mobile. Entre-temps, il y avait également eu Crossings, fin 2014 à l’IMA, dans le cadre de l’exposition collective «le Maroc contemporain». Dans cette vidéo documentaire, déclinée sur trois écrans, l’artiste rendait compte sans misérabilisme du douloureux exode de migrants subsahariens. Des «fragments de réalité» parmi tant d’autres, dont elle avait manifestement décidé de rendre compte. Longtemps.
20/1/2016, Gilles Renault
Source : Libération