mercredi 3 juillet 2024 20:37

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Coincés, face à l'Angleterre

De Calais à Zeebruges, des milliers de migrants sont bloqués dans leur tentative de rejoindre le Royaume-Uni.

Mercredi soir, les forces de l’ordre ont rasé une partie de la « jungle » de Calais, ce qui a donné lieu à des heurts entre migrants et police. Si l’on parle souvent de cette ville, en réalité, les candidats au passage vers la Grande-Bretagne se répartissent aujourd’hui tout le long d’une ligne allant de Calais à la Belgique. Pendant une semaine, « La Croix » est allée à leur rencontre dans les différents camps qu’ils occupent.

Sur l’A26, après Arras, impossible d’y échapper. À proximité de la plupart des aires de repos, un campement de fortune s’est formé. De préférence, là où les camions s’arrêtent pour faire le plein. C’est à ce moment que les migrants peuvent tenter de s’introduire à leur bord, direction l’Angleterre.

Cela commence à 100 km avant la mer, près de la petite ville d’Angres, où une centaine de Vietnamiens logent dans un local technique de la commune. Cela se termine 80 km plus loin, à Tatinghem. En retrait de ce village, une quarantaine d’Afghans et quelques Iraniens s’abritent sous les bâches de cabanes, dans un fossé séparant un chemin d’un champ. Il y a aussi une myriade de petits sites sans nom où une poignée de personnes ont trouvé refuge. Le soir, s’ils parviennent à déjouer les contrôles, ils embarquent dans des poids-lourds sans connaître leur destination précise. Beaucoup, repérés, seront obligés de revenir à la case départ, en train ou à pieds.

« C’est la partie la plus dure de notre voyage », explique Khaled. Ce Soudanais du Darfour se réchauffe près d’un poêle placé au milieu d’une grande tente. Il se trouve à Norrent-Fontes, dans le plus grand des petits campements, où ne résident que des migrants originaires de la Corne de l’Afrique. Pour être accepté dans ce lieu limité à 250 places, il faut s’acquitter d’un droit d’entrée. Avec le renforcement des forces de l’ordre à Calais et sur l’autoroute, la durée moyenne de séjour tend à s’y allonger. Certains sont là depuis six mois, « du jamais vu », selon Nathalie, une bénévole de longue date à l’association Terre d’errance. Mais Khaled l’assure, « ce sera toujours mieux que Calais ».

Le camp de Norrent-Fontes abrite 250 personnes originaires de la Corne de l'Afrique. Pour y accéder, il faut s'acquitter d'un droit d'entrée.

L’impasse de Calais

Près de 4 000 migrants sont aujourd’hui coincés à Calais, dans un bidonville géant encerclé par la police, où l’on se perd dans un dédale de ruelles boueuses abritant commerces informels et habitations bricolées. Au nord, il y a les aménagements de l’État, un empilement de conteneurs dont la capacité doit bientôt atteindre 1 500 places. Au sud, un cimetière d’épaves de caravanes que des « Volonteers » anglais ont amenées par solidarité. C’est le coin des Afghans. On y croise beaucoup de jeunes isolés et de nombreuses familles.

Ici, tout s’achète à condition d’en avoir les moyens, du plat africain à la bouteille de gaz en passant par la coupe de cheveux. Le prix du passage, lui, a flambé. Il faut débourser entre 6 000 et 10 000 euros pour avoir une chance de traverser. Avant l’été dernier, 800 euros auraient suffi. Mais voilà, plus de 1 000 gendarmes et CRS œuvrent maintenant à la sécurisation d’Eurotunnel et du port. C’est la loi du marché : les tentatives réussies sont rares, donc chères. Ce qui explique qu’aujourd’hui, beaucoup de migrants se retrouvent piégés dans ce camp.

Dans la zone sud du bidonville de Calais, les « Volunteers » anglais ont acheminé des dizaines de caravanes. Elles hébergent essentiellement des Afghans.

« Moi je suis pauvre, alors pour m’en sortir, je ne peux compter que sur moi », explique Ahmed, 14 ans. Cet Afghan a tout de même réussi à se procurer un vélo qu’il s’applique, pinceau à la main, à recouvrir grossièrement d’une peinture bleue. « Comme ça, je le reconnais, les passeurs ne pourront pas me le prendre en prétendant que c’est à eux. ». Avec son VTT, il peut raccourcir son temps de trajet et faire jusqu’à trois tentatives de passage par jour. Car il y a 7 km à parcourir avant d’atteindre les abords d’Eurotunnel et 4 km avant d’arriver à l’aire de repos du « Beau Marais », premier lieu d’embarquement dans les remorques en ce moment. « Je connais six personnes qui ont réussi la semaine dernière. Tant que j’aurai une chance, même petite, je continuerai », explique-t-il.

Dorkhanei, elle, a arrêté les frais après deux essais : « Avec trois enfants, c’est trop risqué », déclare cette mère afghane en servant le thé dans sa petite caravane. « Les faire grelotter pendant six heures à l’intérieur d’une remorque surchargée, tout cela pour se faire prendre, plus jamais. » Originaire de la région proche de la frontière pakistanaise, cette ancienne enseignante en didactique parle bien anglais.

Elle a dû fuir la menace des Talibans, qui lui reprochaient un mariage impie avec un Indonésien chiite dont elle n’a plus de nouvelles. Voilà trois mois qu’elle est à Calais. Peu après son arrivée dans le bidonville, on lui a volé tout l’argent qu’elle avait emporté. Sans l’aide de son frère, venu de Londres pour lui donner un peu de liquide, elle n’aurait pas tenu. Mais elle n’a plus de quoi payer une traversée. Elle pourrait essayer de passer ailleurs sur la côte. « Il y a d’autres camps mais ils sont pires qu’ici, et les Afghans n’y ont pas leur place. »

Les vélos sont très prisés par les migrants. Ils permettent de raccourcir les temps de trajet entre le campement et les divers points de passage vers l'Angleterre. Le vélo sert aussi aux trajets quotidiens, comme les courses.

Dans le bourbier de Grande-Synthe

À 40 km plus au nord, voici Grande-Synthe. Un drapeau kurde flotte au-dessus du camp boueux de Basroch. Près de 3 000 personnes, dont 200 enfants, s’entassent et pataugent dans cette zone inondable. « Pour évacuer l’eau, nous avons dû creuser des rigoles à la pelle », explique une volontaire belge. Celui qui ne circule pas sur les palettes de bois peut s’enfoncer jusqu’aux genoux. Au moindre camion de distribution autorisé à rentrer dans ce cloaque, on frôle l’émeute.

Mohamed, 22 ans, souffle sur une maigre flamme obtenue à partir de trois bouts de bois et présente ses mains au feu en fredonnant un air de Ahmad Shamal, un grand nom de la chanson kurde connu pour ses modulations mélancoliques.

Aujourd’hui, on se bouscule pour 1 500 paires de bottes. Mohamed n’est pas intéressé. Ce jeune homme de 22 ans a froid. Il souffle sur une maigre flamme obtenue à partir de trois bouts de bois et présente ses mains au feu en fredonnant un air de Ahmad Shamal, un grand nom de la chanson kurde connu pour ses modulations mélancoliques. « Il n’y a plus de lumière », est le titre de ce blues oriental. Mohamed maudit les chiens de policiers dressés pour débusquer les clandestins à bord des camions. « Sans eux, je serai peut-être déjà de l’autre côté avec mon frère », explique-t-il. Ici aussi, l’efficacité de la police s’est renforcée. En décembre, un tiers des 5 000 personnes appréhendées par la police l’ont été à Grande-Synthe. Il y a peu, ce n’était que 10 %.

Dans ce camp tenu par des réseaux kurdes, la situation s’est fortement dégradée. Il y a peu, les passeurs ont même tenté de monnayer l’accès aux WC chimiques installés par les associations. Ils exigent entre 3 000 et 14 000 livres britanniques par personne et par « prestation » selon les chances de réussite, soit entre 3 900 et 18 200 euros. Des sommes impossibles à réunir pour les dizaines de jeunes orphelins sans le sou qui sont ici.

Autour de Mohamed, toute une bande s’est à présent formée. On parle stratégie. Chakar, 16 ans, est là depuis un mois. Avec douze tentatives de passage à son actif, il fait déjà office de vétéran. Les nouveaux arrivés l’écoutent avec attention. « Tout ce qu’il nous faut, c’est quelqu’un qui referme la porte de la remorque une fois à bord, c’est tout », explique-t-il à son auditoire, le doigt levé vers le ciel. Le geste fait apparaître les ongles noircis de sa main droite, taillés pour pincer les cordes d’une guitare égarée.

Personne ne viendra briser ses rêves : « De l’autre côté, je serai musicien ou alors footballeur professionnel à Manchester United. » Il apprend aux novices les risques d’un passage sans argent : « Nous avons nos chances dans les camions frigorifiques, mais il faut prendre garde au manque d’oxygène. ». Ahmed, 16 ans, lui n’y croit plus. Du haut de l’autorité que lui confèrent ses trois mois de présence, il assure : « Avec ce genre de technique, on sera encore là dans trois ans ! » Il a entendu parler d’autres solutions : partir vers Francfort par le train, ou tenter un passage depuis un autre point de la côte, la Belgique.

LES ACCORDS FRANCO-BRITANNIQUES

Depuis 1989, une douzaine d’accords ont été conclus entre la France et la Grande-Bretagne en matière d’immigration.

Le traité du Touquet : signé le 4 février 2003 par les ministres de l’intérieur de la France et du Royaume-Uni, cet accord, intervenu dans la foulée de la fermeture du centre d’accueil à Sangatte, a fait date. Il vise à faciliter les contrôles frontaliers dans les villes bordant la mer du Nord et la Manche en permettant à des agents français d’effectuer des contrôles à Douvres et à leurs collègues britanniques de faire de même à Calais. Le traité prévoit également que les contrôles de fret – pour arrêter les clandestins qui tentent la traversée cachés à bord de camions – se passent côté français.

Un autre accord signé en août 2015 a crée à Calais un « centre de commandement et de contrôle commun ». Il prévoit l’affectation de nouveaux agents britanniques pour épauler leurs collègues français. Il renforce, dans et aux abords du tunnel, le dispositif de clôtures, de caméras de vidéo-surveillance et autres outils de détection infrarouge.

Le terrain du Basroch est destiné à un programme immobilier haut-de-gamme. En attendant la mise en chantier, des hommes kurdes préparent le sol pour installer leurs tentes.

Zeebruges, la carte belge

Le mois dernier, plus de 1 100 migrants ont été interpellés à bord de camions sur la côte belge. À Dunkerque, ils prennent la ligne de bus 2B pour traverser la frontière jusqu’à Adinkerque, où ils peuvent trouver une gare qui dessert l’ensemble du rivage. À chaque port son opportunité de passage. Aux alentours de Furnes, près de la frontière avec la France, 400 tentatives d’intrusions ont été déjouées en un mois. Le record revient à la région de Zeebruges, avec 700 arrestations. Dans cette ville, le fret s’est considérablement développé, les transporteurs cherchant à éviter Calais. Mais ici, les bateaux n’embarquent que les remorques, par manque de place, ce qui complique la circulation des marchandises. Et la situation commence à se dégrader : « De plus en plus de remorques nous reviennent abîmées, avec le toit éventré », témoigne un loueur de véhicules.

La grande différence avec la France, c’est qu’ici, il n’y a pas de bidonville. Et pour cause. À Knokke-Heist, ville voisine de Zeebruges, se joue une incessante partie de cache-cache. La garde montée fait sa ronde par équipe de deux cavaliers. Le cheval est très utile pour s’aventurer dans les hectares de dunes et de bosquets de la ville où des migrants peuvent se nicher. « Notre rôle, c’est avant tout de les empêcher d’établir des campements », explique un des policiers.

Les clandestins ont bien compris la règle du jeu : ils ne seront pas inquiétés tant qu’ils se feront discrets. Dans les rues, on les voit en mouvement permanent, seuls ou par paire. On les repère à leur mine fatiguée, leurs vêtements usés, leur sac à dos… Si on tente de les approcher, ils changent de direction ou même de trottoir. Et même si on y parvient, ils refusent de parler.

À la nuit tombée, ils s’aventureront sur les quais où stationnent les camions. C’est la seule hantise du bourgmestre, Leopold Lippens : voir dans sa ville se former un bidonville comparable à celui de Dunkerque ou de Calais. Avec les autres élus concernés sur le littoral, il a demandé à la police fédérale un renfort d’une quarantaine d’agents pour surveiller les arrivées dans les ports et les gares et un durcissement des expulsions. Un peu avant Noël, un grand « coup de filet » a été organisé dans la ville. Les grands moyens ont été employés, avec un hélicoptère à l’appui pour repérer les intrus. Une soixantaine de migrants ont été interpellés.

Source : la-croix.com

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