Face à la crise migratoire, dont les soubresaut se sont encore fait sentir à Calais ce week end, l'Union européenne prépare une refonte des règles d'accueil des réfugiés, dites de "Dublin" qui font peser une charge démesurée sur certains pays.
Plus d'un million de migrants sont arrivés en Europe en 2015. En dépit du froid glacial, plus de 30 000 réfugiés syriens, irakiens et afghans ont encore emprunté la route des Balkans, depuis le début du mois de janvier 2016. En France, à Calais, la situation est de plus en plus instable. Face à ce défi, les Européens font le constat que les accords de Dublin ne permettent plus de gérer les flux migratoires. Mais bien peu s'accordent sur les remèdes possibles. Explications.
Dublin, comment ça marche ?
En vertu du règlement dit "de Dublin", les personnes qui fuient la guerre ou la misère doivent déposer leur dossier de demande d'asile dans le premier pays par lequel ils arrivent en Europe. Ils sont enregistrés dans la base de données Eurodac, dotée d'un système de reconnaissance d'empreintes digitales. Il s'agit de faire en sorte qu'un seul examen de demande d'asile soit instruit au sein de l'UE. En conséquence, un migrant contrôlé au Danemark, par exemple, peut être renvoyé en Italie, si c'est là que ses empreintes digitales ont été enregistrées la première fois en Europe.
Pourquoi Dublin pose problème
"Le système actuel est injuste, contraignant et coûteux, constate Yves Pascouau, spécialiste des migrations. Il fait porter le poids de la responsabilité de l'accueil des migrants sur les pays de la périphérie du continent. Ce constat, déjà porté les années précédentes, est devenu une évidence en 2015, année qui a vu l'arrivée de plus de 1,1 million de personnes en Europe, dont 850 000 via la Grèce et 153 000 via l'Italie. "Ni les Etats, ni les demandeurs d'asile n'en sont satisfaits" poursuit le chercheur de l'European Policy Centre. Complètement dépassés, les pays du sud de l'Europe n'enregistrent plus que partiellement les nouveaux arrivants, ou bien, ils le font avec retard. "En Espagne, par exemple, le nombre de demandes d'asile déposées ne dépasse pas les 8000, alors que de toute évidence, un nombre bien supérieur de migrants est entré dans le pays", explique Pierre Henry, directeur général de France, Terre d'Asile. "Les migrants non plus, ne souhaitent pas être enregistrés en Grèce, pour la plupart. Ils savent que le pays est en crise, que le taux d'acceptation des demandes d'asile est très faible. Ils préfèrent se rendre vers des pays où leurs chances de trouver un emploi ou de s'intégrer sont supérieures."
L'exception allemande
En 2015, face à l'augmentation exponentielle de l'arrivée de migrants, "l'Allemagne a contourné Dublin par une interprétation très large du règlement", explique Yves Pascouau. Un Etat peut en effet se déclarer responsable d'un demandeur d'asile même si ce dernier a déjà été enregistré dans un autre pays. Mais cette "clause humanitaire" était prévue pour du cas par cas. L'Allemagne d'Angela Merkel l'a étendue à de larges segments de population.
Qu'arrive-t-il aux "dublinés" ?
Dans le jargon en vigueur dans les milieux au contact avec les migrants, en France, on surnomme "dublinés", ceux qui sont présents en France, mais dont la demande d'asile est de la responsabilité d'un autre État. En théorie, ils doivent être renvoyés dans le pays où ils ont été enregistrés. Dans les faits, très peu d'entre eux le sont. Pour renvoyer un demandeur d'asile, la France doit déposer une demande au pays d'entrée. Celui-ci ne va pas s'empresser d'accéder à la requête. Cela peut prendre des semaines, voire des mois. Dans certains cas, la France a renvoyé des demandeurs d'asile du centre de rétention de Coquelle, à Calais, vers la Belgique, où leurs empreintes avaient été relevées. "Vous pouvez imaginer qu'ils ne tardent pas à revenir à Calais".
Quelle réforme ?
La Commission européenne travaille à une refonte du règlement de Dublin. "On ne connait pas encore la teneur de leurs propositions. L'une des options envisagée, précise Yves Pascouau, serait de s'inspirer du modèle adopté en mai 2015." Après une série de naufrages meurtriers, la Commission avait proposé des quotas pour relocaliser des migrants. Ces quotas devaient être calculés en fonction de critères tels que la taille du pays, son PIB, son taux de chômage et l'effort déjà consenti pour l'accueil des réfugiés. A l'époque, la proposition de Bruxelles avait suscité beaucoup de réticences pour la répartition de ... 40 000 migrants.
Les pays d'Europe de l'Est et le Royaume-Uni sont les plus farouches opposants à une révision du règlement de Dublin. Londres a déjà annoncé, souligne le Guardian, qu'il se réservait d'exercer son droit d'exemption (opt-out). Cette question est l'un des enjeux sur lesquels s'appuie d'ailleurs David Cameron pour exiger des réformes de l'Union européenne afin de désamorcer les tentatives de Brexit (sortie de l'UE) de ses compatriotes, alors qu'un référendum est prévu cette année outre-Manche.
Le projet de réforme de Dublin de la Commission doit être présenté en mars. Dans tous les cas, le processus sera long, souligne Yves Pascuau, puisqu'il devra passer par le Conseil des ministres et le Parlement. "Au mieux des mois, au pire des années."
Menace sur Schengen?
Si les Européens ne parviennent pas à se mettre d'accord pour réformer les règles de Dublin, c'est l'espace Schengen qui pourrait être remis en cause, avertissent certains: l'UE "est en mesure de gérer [le flux de migrants] si elle le fait en commun et si elle reconnaît que les règles imaginées il y a un quart de siècle ne sont plus adaptées face aux flux d'aujourd'hui", a déclaré, il y a quelques jours le ministre italien des Affaires étrangères Paolo Gentiloni. "Préserver l'accord de Schengen est crucial", a abondé depuis Davos Mark Rutte, le Premier ministre néerlandais, jeudi. Et plutôt que de songer à " tuer Schengen, a-t-il poursuivi, il faut faire marcher Dublin ".
En effet, puisque Dublin fait surtout porter la charge sur les pays du Sud, "ces derniers ne sont plus en capacité et n'ont plus la volonté d'appliquer les règles de Schengen", décrypte Yves Pascouau, c'est-à-dire le contrôle aux frontières, l'identification, l'enregistrement. Si on laissait les choses en l'état, le principe de libre circulation, l'un des piliers de l'UE, serait menacé. "La crise a clairement démontré qu'il existe un lien consubstantiel entre Schengen, les règles relatives à l'entrée dans l'UE, et Dublin, ajoute Yves Pascouau. Tout le monde est désormais d'accord pour considérer que ces deux éléments sont liés, alors qu'ils ont été traités isolément depuis des années." "Au printemps, les migrations de masse vers l'Europe vont recommencer, prédit le chef du gouvernement néerlandais. Il y a urgence à réagir.
Source : l’express.fr