Les drames à répétition dans les eaux de la Méditerranée ont porté une attention nouvelle sur l'une des plus anciennes activités de l'humanité : la migration.
Comme les vagues, les flux et reflux du mouvement humain ne peuvent être arrêtés. Voilà pourquoi la communauté internationale doit gérer ce phénomène avec compassion, en mettant en place des politiques pour gérer les flux de personnes dans les pays d’origine, de transit et de destination et en assurant le bien-être des migrants eux-mêmes. Cela nécessite une action sur quatre fronts.
1) Les dirigeants des pays de destination doivent se garder d’utiliser les migrants comme boucs émissaires. Pour de nombreux élus, la migration pose un dilemme : comment concilier les demandes de leurs citoyens avec les intérêts des migrants ? Les nouveaux arrivants doivent accepter d’adapter leurs coutumes aux pays d’accueil.
De leur côté, les populations locales doivent reconnaître le rôle crucial qu’ils peuvent jouer dans l’économie. Les migrants effectuent des travaux que d’autres ne peuvent ou ne veulent pas faire, remplacent la main-d’œuvre d’un pays lorsque celle-ci vieillit… L’Allemagne aura ainsi besoin d’environ 32 millions d’immigrés d’ici à 2035 pour maintenir l’équilibre entre actifs et non-actifs.
2) Nous devons nous assurer que les migrants qui choisissent d’envoyer de l’argent dans leur pays d’origine puissent le faire facilement et à peu de frais. En 2014, les transferts de la diaspora vers les pays en développement se sont élevés à 436 milliards de dollars – bien plus que l’aide publique au développement de la communauté internationale.
Malheureusement, les intermédiaires financiers prélèvent en moyenne 9 % de ces fonds. Réduire cette part augmenterait le revenu des familles des migrants, accroîtrait les possibilités économiques des pays en développement, aiderait à réduire la pauvreté et, in fine, contribuerait à la stabilité mondiale.
Le monde développé croit parfois, à tort, qu’on lui demande de prendre soin d’un nombre disproportionné de personnes en quête d’une vie meilleure
3) Nous devons traiter les demandes d’asile rapidement et équitablement. Les pays européens, par exemple, doivent concevoir des mécanismes pour se partager les flux de migrants. Le monde développé croit parfois, à tort, qu’on lui demande de prendre soin d’un nombre disproportionné de personnes en quête d’une vie meilleure. En réalité, 70 % des réfugiés cherchent protection dans des pays en développement. Le Liban, par exemple, dont la population est de 4,5 millions de personnes, abrite près de 2 millions de réfugiés, chassés de leurs foyers par les conflits en Syrie et ailleurs.
4) Ceux qui émigrent aujourd’hui le font pour les mêmes raisons qui ont incité, par le passé, des millions d’Européens à quitter leur pays. Ils fuient la pauvreté, la guerre ou l’oppression. Nombre d’entre eux demandent l’asile au titre de la convention de 1951 et de son protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés.
Lorsqu’ils sont refoulés en raison d’interprétations juridiques restrictives ou détenus pour des périodes excessives, le droit international est bafoué. Les efforts d’interdiction devraient se concentrer sur les trafiquants et non sur ceux qu’ils exploitent. Prenons garde à ne pas reléguer la migration dans la clandestinité : cela ferait le jeu des gangs qui prospèrent sur le désespoir des migrants.
Cela n’est pas un appel à la migration effrénée. Mais les efforts pour bloquer la migration sont voués à l’échec, avec des conséquences désastreuses pour les vies humaines – qu’elles soient englouties par la Méditerranée ou menacées par la violence xénophobe en Afrique du Sud. La construction de clôtures toujours plus élevées ne peut pas être une réponse. Dans les années 1980, dirigeants politiques et intellectuels européens s’étaient ralliés à la cause des boat people fuyant le Vietnam. Le monde a le devoir moral de se mobiliser de la même façon aujourd’hui.
11 février 2016, Kofi Annan
Source : jeuneafrique.com