Le gouvernement Benkirane fait peu de cas des migrants irréguliers marocains en Grèce
La famille Meziani n'a pas encore fait le deuil de son fils Elias décédé à la frontière gréco-macédonienne. La dépouille du défunt repose toujours à la morgue de l’hôpital de Kilkis, une ville grecque située dans la région de la Macédoine-Centrale dans l’attente de son rapatriement au Maroc. Une mission qui semble devenir impossible malgré les nombreuses interventions et correspondances adressées aux services consulaires et ministères concernés.
«On a frappé à toutes les portes : ambassade du Maroc en Grèce, ministère chargé des Marocains résidant à l’étranger et des Affaires migratoires, ministère des Affaires étrangères, Conseil de la communauté marocaine à l'étranger… Tous nous ont assuré que la dépouille du défunt allait être incessamment rapatriée mais nous l’attendons depuis plus de trois mois et rien ne semble venir», nous a confié Mohamed Meziani, frère du défunt. Et de poursuivre : «Un responsable marocain nous a expliqué que ce retard est dû à un problème d’examen de l’identité du défunt et, que dès qu’il sera résolu, l’affaire sera réglée».
Originaire de Nador, Elias, 19 ans, a quitté le Maroc en novembre dernier en quête d’une vie meilleure en Europe. Accompagné de quelques amis natifs de la même ville, ils ont franchi les frontières grecques via la Turquie. Mais leur aventure a tourné court après la fermeture des frontières macédoniennes aux «migrants» qui ne sont pas des «réfugiés», issus de pays en guerre.
«Notre source, présente sur les lieux, nous a confirmé que le corps d’Elias se trouve bel et bien à Kilkis et que la direction de l’hôpital a contacté l’ambassade du Maroc en Grèce pour le récupérer mais celle-ci a refusé de lui répondre», nous a confié une source de l’AMDH-section Nador. Et de préciser que «l’ambassade réfute complètement cette version et avance que ledit hôpital refuse toute restitution de ladite dépouille avant son identification. Et elle se dit prête à prendre en charge les frais de rapatriement du corps d’Elias». Notre source nous a même informés que l’ambassadeur du Maroc en Grèce s’est entretenu avec la famille du défunt avant-hier et qu’il lui a confirmé que la dépouille allait bientôt être transférée au Maroc.
«Qui dit vrai, qui dit faux ? Difficile de trancher, mais cette affaire est devenue absurde d’autant plus que le rapatriement par le ministère chargé des MRE des dépouilles des Marocains décédés à l’étranger s’effectue, souvent, dans un délai ne dépassant pas la semaine», nous a précisé notre source.
Mais la souffrance de la famille Meziani dépasse de loin le seul souci de récupérer le corps de son enfant. Les conditions de sa mort suscitent également moult questions. En fait, Elias est décédé dans des conditions mystérieuses. «C’est sur ces frontières que mon frère a perdu la vie mais personne ne sait comment il a disparu. Les récits sont divers et contradictoires. Si certains attestent qu’il est mort électrocuté dans un wagon, d’autres ont affirmé qu’il a été électrocuté après avoir tenté de franchir les frontières macédoniennes», nous a précisé le frère du défunt. Et d’ajouter : «Ses compagnons de fortune ne veulent rien dire et préfèrent garder le silence».
Mais l’AMDH estime que l’affaire d’Elias n’est que la partie visible de l'iceberg. Elle affirme que d’autres jeunes Marocains souffrent le martyre en Grèce sans que les autorités marocaines ne s’en émeuvent ou ne bougent le petit doigt. «Nombreux sont les jeunes de nationalité marocaine qui sont aujourd’hui détenus dans des centres de rétention qui échappent à tout contrôle judiciaire depuis des mois et vivent dans des conditions lamentables et inhumaines», nous a confirmé notre source.
Dans une lettre que l’AMDH a adressée à l’ambassadeur grec à Rabat, elle fait état du cas de plusieurs jeunes originaires de Nador arrêtés de manière arbitraire et incarcérés dans des centres de détention où ils subissent des maltraitances et des violences physiques et morales, selon les témoignages de leurs familles.
Une situation critiquée à plusieurs reprises par les ONG qui n’ont cessé de fustiger ces lieux de détention grecs marqués par leur surpopulation, leur chauffage inadéquat, leur ventilation inadéquate, leur manque d’ouverture sur l’extérieur et la mauvaise alimentation. Un rapport de Médecins sans frontières (MSF) daté de 2014 a révélé que les groupes particulièrement vulnérables (mineurs, victimes de torture, personnes souffrant de maladies chroniques ou de handicap) sont soumis à une détention prolongée. Les migrants et demandeurs d’asile sont également détenus dans des postes de police où les conditions sont encore plus déplorables et où ils sont privés de tout accès à l’air libre durant plusieurs mois, allant parfois jusqu’à 17 mois.
Les Nations unies ont déjà accusé la Grèce de détenir des migrants dans des conditions choquantes et la Cour européenne des droits de l’Homme avait, elle aussi, condamné, en octobre 2013, la Grèce pour violation de plusieurs articles de la Convention relative aux droits de l’enfant.
Plus récemment encore, en octobre 2014, le Conseil de l’Europe avait dénoncé les conditions de détention inacceptables en Grèce, notant que «deux femmes ou plus étaient retenues pendant des mois dans une cellule sombre, moisie et délabrée de 5 mètres carrés au sous-sol et sans avoir accès à l’exercice en plein air ou aux produits d’hygiène».
17 Février 2016, Hassan Bentaleb
Source :Libération