En négociant un "statut spécial" pour le Royaume-Uni afin de répondre à ses demandes de réforme de l'UE, David Cameron a fait triompher la "spécificité" britannique, au risque d'ouvrir la voie à une "Europe self-service".
Au terme d'un sommet de 30 heures, le Premier ministre britannique a arraché vendredi à ses 27 partenaires un compromis "taillé sur mesure" pour faire campagne en faveur du maintien de la Grande-Bretagne dans l'Union avant un référendum à haut risque le 23 juin.
"J'ai négocié un accord pour donner au Royaume-Uni un statut spécial dans l'Union européenne", a-t-il twitté, martelant que jamais son pays ne ferait partie de la zone euro ni d'un "super-Etat européen".
Soucieux d'éviter un séisme à une Union européenne déjà ébranlée par la pire crise migratoire de son histoire, les dirigeants européens ont fait contre mauvaise fortune bon coeur.
"Il n'y a pas eu de victoire des uns contre les autres", a insisté François Hollande. Pas de dérogation aux règles européennes. Pas de révision des traités ni de droit de veto britannique sur la zone euro.
"Il peut y avoir une Europe différenciée", a plaidé le président français, même s'"il ne faut pas donner le sentiment que l'Europe c'est un self-service".
"Scénario catastrophe"
Cela dit, le pugnace dirigeant conservateur britannique a obtenu ce qu'il voulait sur les migrants européens : un "frein d'urgence" sur certaines aides sociales pendant sept ans. Son pays est également exempté de l'engagement vers une "Union sans cesse plus étroite", un pilier de la construction européenne.
A dire vrai, la volonté britannique de bénéficier d'un statut spécifique n'a rien de neuf, ni la tentation du grand large du Royaume-Uni, solidement amarré à sa "relation spéciale" avec les Etats-Unis.
Mais ce constat ne saurait cacher les inquiétudes des europhiles, ni les espoirs des europhobes, que d'autres nations s'engouffrent dans la brèche ouverte par M. Cameron, surtout en cas de victoire du non au référendum du 23 juin, et donc de "Brexit" (la sortie de l'UE de la Grande-Bretagne). Un "scénario catastrophe" pour Bruxelles.
"Pour l'Europe, c'est une +Victoire à la Pyrrhus+, tant le détricotage de l'Europe est possible à coup de multiplication de chantages au référendum", a averti la délégation socialiste au Parlement européen dans un communiqué.
"Hors du Royaume-Uni, un +Brexit' attiserait des mouvements populistes déjà en pleine croissance", s'inquiète le Forum économique mondial (WEF) dans un rapport publié la semaine dernière.
"Des appels à des processus de renégociation et des référendums similaires pourraient se faire entendre aux Pays-Bas, en France, en République tchèque et ailleurs", observe le WEF.
De fait, Marine Le Pen, la présidente du parti d'extrême droite Front national (FN), a prédit "le début de la fin" de l'UE telle qu'elle existe aujourd'hui.
"Ce que je propose depuis quatre ans, la Grande-Bretagne est en train de le faire", s'est réjouie Mme Le Pen avant même la fin du sommet de Bruxelles.
Eviter la contagion
Le Premier ministre libéral danois, Lars Løkke Rasmussen, a été un des premiers à féliciter son homologue britannique pour s'être "bien battu".
Et pour cause. Certaines des restrictions négociées par M. Cameron pour limiter l'accès des migrants d'Europe centrale et de l'est aux prestations sociales vont s'appliquer au Danemark (et aux autres membres).
Ainsi, comme le souhaitait M. Rasmussen, les allocations familiales pour les enfants de migrants restés derrière leurs parents seront désormais indexées sur le niveau de vie de leur pays de résidence, comme la Bulgarie et la Roumanie, - et non plus du pays où vivent leurs bénéficiaires.
Ces concessions "discriminatoires"passent mal auprès des syndicats. "Ce dont l'Europe a besoin, c'est d'investissements et de salaires décents pour les travailleurs, et non de dépouiller des migrants déjà mal payés de leurs droits", a mis en garde la Confédération européenne des syndicats (CES), dont le siège est à Bruxelles.
Son secrétaire général, Luca Visentini, exhorte l'UE à "faire en sorte qu'aucune des exceptions et restrictions ne s'applique aux autres Etats-membres". Et promet que les syndicats européens "se battront pour mettre fin à de telles restrictions".
Mais dans une Europe objet de désaffection, en proie au doute et aux divisions, "il y a un risque qu'on perde de vue le rêve européen originel", comme l'a avoué le chef du gouvernement italien Matteo Renzi à la fin du sommet.
21 févr. 2016,Philippe AGRET
Source : AFP