Depuis plusieurs mois, l’aéroport de Berlin voit des milliers d’Irakiens, d’Afghans et de Syriens rebrousser chemin, déçus par les réalités de l’exil.
Le visage de Sora s’est couvert de larmes lorsque ses amis ont disparu derrière le contrôle de sécurité. «Les uns après les autres, toutes nos connaissances sont reparties en Irak», s’émouvait la semaine dernière cette jeune mère de quatre enfants, venue en famille à l’aéroport accompagner des proches en partance pour Erbil, dans le Kurdistan irakien. «Je n’en peux plus d’attendre mon tour.» Mahmoud, son mari, et elle sont originaires de Mossoul, aujourd’hui aux mains de l’organisation Etat islamique. Depuis trois mois, le jeune couple et leurs enfants, deux filles et deux garçons âgés de 10 ans à 18 mois, vivent dans un foyer d’urgence pour réfugiés sur la Frankfurter Allee, une avenue bruyante et polluée de Berlin-Est. «C’est horrible là-bas, raconte Sora. Il n’y a pas assez à manger, les enfants n’ont rien, ils n’ont pas mis les pieds à l’école… Et puis comme tous les enfants volent là-bas, les nôtres se sont mis à en faire autant !» «A ce moment-là, nous avons décidé de rentrer», ajoute Mahmoud. Ce mercredi, ils prendront le vol hebdomadaire qui relie Berlin à Erbil.
«Regards de travers»
Combien sont-ils à vouloir ainsi retourner chez eux, alors que des centaines de milliers ne rêvent que d’atteindre enfin l’Allemagne ? Il n’existe aucune statistique fiable à ce sujet. L’ambassade d’Irak à Berlin fait face à une augmentation des demandes de papiers de la part d’Irakiens souhaitant retourner chez eux : de janvier à octobre 2015, les services consulaires ont délivré 150 documents, contre 1 250 pour les seuls mois de novembre et décembre. Selon les statistiques du bureau allemand des migrations (Bamf), 724 Irakiens ont demandé à bénéficier, en 2015, du programme d’aide au retour du gouvernement, ainsi que 309 Afghans et 13 Syriens. Mais la plupart des candidats au départ ne demandent pas à bénéficier de ces aides et repartent par leurs propres moyens. Comme Sora et Mahmoud.
Une longue file s’est formée devant le comptoir d’enregistrement d’Iraqi Airways. Beaucoup d’hommes seuls, pour la plupart jeunes, équipés d’un maigre bagage ou de grands sacs en plastique ; quelques femmes, de rares enfants. Ali Mohammed et Ali Ahmed ont fait connaissance la veille, dans un hébergement de Berlin. Tous deux viennent de passer quelques mois en Allemagne et ne rêvent que d’une chose : rentrer en Irak, quel que soit le prix à payer.
Ali Mohammed a 22 ans. Crâne à moitié rasé, tee-shirt léopard, jean et ceinture cloutée, il vient de passer les six derniers mois dans le foyer de réfugiés d’un village quasi déserté, à quelques kilomètres de la frontière avec la République tchèque. «Là-bas, il n’y avait ni train ni bus, que des gens qui nous regardaient de travers, et rien à faire de toute la journée. En six mois, on n’a jamais pu me dire quand j’aurais des papiers, quand je pourrais quitter le foyer où nous étions entassés. Partout, des lits superposés, impossible de dormir et la nourriture était infecte. Je n’ai pas eu un cours d’allemand, car il n’y avait même pas d’école de langue», raconte-t-il.
Générosité des proches
Son compagnon d’infortune, Ali Ahmed, 28 ans, barbe de trois jours et tatouages sur les bras, vient de passer quatre mois dans un logement d’urgence à la frontière avec les Pays-Bas. «Dans ce trou, il n’y avait même pas de supermarché, et pas de bus pour aller au prochain village. Je n’avais pas imaginé l’Allemagne comme ça.»
Comme des milliers d’autres réfugiés, les deux jeunes gens avaient rêvé leur vie ici autrement… «Je suis venu avec l’idée d’avoir des papiers, de devenir allemand, de me marier, de vivre comme les Allemands, quoi», explique Ali Mohammed. Policier à Bagdad avant de prendre la route des Balkans, il risque jusqu’à quatre mois de prison à son retour pour être parti sans prévenir son employeur. Ali Ahmed, lui, espérait ouvrir un petit commerce en Allemagne. Il rêve maintenant que son ancien patron, un pâtissier de Bagdad, le reprenne chez lui. En tant qu’Irakiens, ils auraient pourtant de bonnes chances d’obtenir un permis de séjour de trois ans renouvelable en Allemagne. Ils ont choisi de faire le trajet en sens inverse, malgré des semaines ou des mois d’odyssée à travers la Méditerranée et les Balkans et les sommes considérables que leur a coûtées le voyage. Pour le retour, ils ont dû faire appel à la générosité de leurs proches.
Consulat pris d’assaut
Au consulat d’Irak à Francfort, l’heure est à l’urgence. «Depuis trois mois, nous sommes pris d’assaut, explique Uday Aouda, au service des passeports. Le problème est que la plupart des réfugiés n’ont pas de papiers d’identité. Cela nous oblige à mener des entretiens avec chaque candidat pour vérifier son identité. Et bien sûr, nous devons voir chaque membre de la famille. Il n’y a pas longtemps, on a vu débarquer tout un bus de Trèves, avec 40 réfugiés. Tous voulaient rentrer.»
Après quelques mois de tracasseries et d’interminables démarches administratives, épuisés par la vie dans les foyers de réfugiés surpeuplés, souffrant du mal du pays ou de l’absence de leur famille, beaucoup d’Irakiens se retrouvent un jour au comptoir d’Arina Reisebüro, une agence de voyages spécialiste du Moyen-Orient dans le quartier populaire de Kreuzberg, à Berlin. «Ça a commencé voici deux ou trois mois, explique Amos, salarié de l’agence. Chaque semaine, entre 80 et 100 Irakiens qui veulent rentrer au pays viennent me voir. Ils vivent depuis des semaines ou des mois dans des salles de sport converties en foyers, sans aucune intimité, et ils ne la supportent plus. Ils s’étaient imaginé l’Allemagne autrement. Ils ne veulent que rentrer.»
Beaucoup de ces déçus de l’Europe sont si pressés que, comme Ali Mohammed et Ali Ahmed, ils n’attendent même pas le délai nécessaire pour bénéficier du programme d’aide au retour du gouvernement allemand, préférant payer de leur poche les 200 à 300 euros que coûte un aller simple pour Erbil.
Marion Lich dirige à Munich l’organisme Coming Home, qui aide les réfugiés à rentrer dans leur pays d’origine avec le soutien de la ville de Munich et de la Communauté européenne. L’organisme prend en charge le prix du billet retour, et étudie au cas par cas les besoins : fauteuil roulant, médicaments, aide à la création d’entreprise… Créée dans les années 90, lorsque de nombreux réfugiés ont voulu retourner en ex-Yougoslavie, Coming Home aide de plus en plus d’Afghans ou d’Irakiens.
«Fausses promesses des passeurs»
«Beaucoup ont été victimes des fausses promesses de passeurs. Au bout de quelques semaines en Allemagne, ils demandent quand ils recevront enfin les 2 000 euros par mois qu’on leur avait promis, des papiers et un logement. Et puis la plupart s’aperçoivent qu’ils ne peuvent pas vivre sans leur famille. Ils ne sont pas habitués à prendre des décisions seuls, sont désemparés par la vie en Allemagne, explique Marion Lich. Bien sûr, comparé au nombre d’arrivées, le nombre des départs est encore modeste. Mais nous estimons que 5 % des nouveaux venus veulent repartir le plus vite possible.»
Avec les Afghans et les Irakiens, les choses se font plutôt bien : les services consulaires de ces deux pays sont très coopératifs et leur délivrent sans problème des papiers. «Pour les Syriens par contre, la situation est dramatique, poursuit Marion Lich. Ils doivent récupérer leur passeport, qui leur a été confisqué à leur arrivée en Allemagne. Et dans le chaos des mois derniers, on estime qu’environ 10 % de ces documents ont tout simplement disparu. C’est incroyable dans un pays comme l’Allemagne ! Le drame est que la Syrie ne délivre pas de papiers à ceux qui sont partis.»
Or, sans papiers, pas de retour possible. D’autant que les pays limitrophes, où se trouve en général leur famille, ne veulent pas d’eux non plus. Les Syriens désireux de retourner dans les camps de Turquie, du Liban ou de Jordanie sont piégés en Allemagne.
24 février 2016, Nathalie Versieux
Source : Libération