« Oui, en termes de discours et de rapport à la politique » Marie-Cécile Naves, politologue, spécialiste des États-Unis.
Je persiste à penser qu’il y a beaucoup de points communs, au-delà des passés personnels très différents, entre Jean-Marie Le Pen et Donald Trump. Donald Trump est un homme d’affaires, pas un politicien professionnel. De ce point de vue là, il ressemblerait plus à Silvio Berlusconi, l’ancien premier ministre italien.
Mais en termes de contenu de discours et de rapport à la politique, il est possible d’établir de nombreux rapprochements entre les deux hommes. Dans la forme, ils misent tous les deux sur le verbe, ayant souvent recours à des formules très travaillées. Dans le fond, ils désignent des boucs émissaires, responsables de tous les maux, et s’attaquent au système, se posant chacun en homme providentiel.
Il est aussi intéressant de se pencher sur leur rapport au pouvoir. Il y a six mois, il était assez évident que la candidature de Donald Trump était inscrite dans une démarche narcissique, peut-être profitable aussi pour ses affaires. Maintenant, en revanche, il semble s’être pris au jeu.
Mais a-t-il pour autant vraiment envie de gouverner ? Ira-t-il jusqu’au bout ? Cette interrogation reste un grand mystère pour les observateurs… Ce qui le rapproche d’un Le Pen, qui n’a jamais voulu le pouvoir, à l’inverse de sa fille. Souvent, quand le leader du Front national traversait une période favorable, il sortait une petite phrase ou deux, ce qui le décrédibilisait. Les récentes déclarations de Donald Trump sur le Ku Klux Klan, qu’il s’est refusé à condamner, ne sont-elles pas du même ordre ? N’est-il pas en train de tester jusqu’où il peut aller ? Pour se moquer de l’ordre établi, qui l’a toujours considéré comme un « plouc »…
L’aspect identitaire est un autre point commun avec Le Pen père et fille : dans les deux pays, ces discours populistes se nourrissent d’une vision mythifiée du passé, d’un âge d’or disparu. L’Amérique n’est plus le gendarme du monde, les bouleversements démographiques que chacun peut voir autour de soi changent le visage des États-Unis et la présidence Obama a cristallisé tous ces éléments. Donald Trump, c’est vraiment le candidat anti-Obama. Ce que le président démocrate a défendu est vu comme menaçant l’identité américaine. Comme si Donald Trump prétendait conjurer une évolution qui est inéluctable.
Il y a bien sûr des différences avec Le Pen, mais ces deux émergences disent long sur l’épuisement de la démocratie de nos deux pays et le désaveu des partis traditionnels. Mais aussi des élites économiques et intellectuelles. Donald Trump est un phénomène américain, mais aussi occidental.
TRIBUNE « Non, car la vie de Donald Trump ne se résume pas à la dénonciation du système » Pascal Dupeyrat, lobbyiste, spécialiste des relations franco-américaines.
Je pense d’abord qu’il est important de penser Donald Trump en dehors de nos propres modèles. Chez nous, quelqu’un d’entier, qui tient un discours transgressif, serait forcément animé des pires intentions, notamment des plus extrémistes. Or, aux États-Unis, le discours politique s’est enfermé dans des élégances dont le peuple n’a plus envie. Le candidat républicain casse la langue formatée du « politiquement correct », dont tout le monde aujourd’hui souffre, car quand on ne met pas de mots sur les maux, on ne les traite pas. Il ne tient pas un discours pour plaire, ce qui l’éloigne d’une Marine Le Pen, engagée dans une démarche inverse de dédiabolisation.
Par ailleurs, on ne peut bien sûr pas comparer la genèse de Jean-Marie Le Pen, dans l’extrême droite française, antisémite, avec le parcours d’un Donald Trump. Le candidat républicain n’a rien d’un idéologue. C’est même quelqu’un d’extrêmement pragmatique. Sa vie ne se résume pas à la dénonciation de « l’establishment ». C’est un bâtisseur, un « doer » – quelqu’un qui fait, dont la vie vaut démonstration de compétence. Le Pen n’a jamais rien fait d’autre que de battre les estrades et pointer du doigt. L’un parle du haut de son empire immobilier, l’autre de sa stature de dénonciateur du système.
Donald Trump, c’est en fait une incarnation du système américain et de ses possibilités, depuis la plus flamboyante réussite jusqu’à la faillite, avant un redressement spectaculaire. L’électeur républicain voit en lui un homme capable de régler les problèmes, ce que fait un chef d’entreprise tout le temps. En cas de victoire, on peut penser qu’il n’aura pas une approche idéologique : il se lancera dans un casting fondé non pas sur les idées, mais sur la capacité à trouver des solutions aux défis de l’Amérique. Un chef d’entreprise ne rêve pas la réalité, il la traite. En politique étrangère, il fera avec les rapports de forces tels qu’ils sont, et non pas en déroulant une vision idéaliste du monde.
Est-ce qu’il y arrivera ? C’est bien sûr une autre histoire. En revanche, on voit bien que, déjà, Donald Trump sort le parti républicain de la mainmise de la droite religieuse. C’est peut-être un courant tout aussi radical, mais c’en est un autre. Se pincer le nez ne nous permettra pas de comprendre ce qui est en marche, c’est-à-dire la volonté de s’affranchir des codes politiques qui se sont installés aux États-Unis au cours des vingt ou trente dernières années.
01/03/2016, Gilles Biassette
Source : La Croix