« Ils participent de l’enrichissement des finances publiques », insiste l’eurodéputé écologiste Yannick Jadot, qui prône la création de voies légales de migration.
Entretien avec Yannick Jadot, eurodéputé Europe Écologie-Les Verts.
Seriez-vous favorable à l’instauration de voies légales de migration ? C’est une solution indispensable. L’Europe n’a pas de politique migratoire : elle n’a pas de porte, les migrants entrent par la fenêtre. Normalement, nous avons l’obligation d’accueillir les réfugiés qui viennent de zones de conflits, comme les Érythréens, les Irakiens, les Afghans… Cela relève des conventions internationales.
C’est loin d’être le cas… Oui, on est à des années-lumière d’un accueil dans la dignité et l’honneur. Madame Merkel fait le boulot, mais comme elle est seule, cela devient compliqué pour elle, y compris dans son propre pays. Là, ce n’est pas l’Europe qui est en cause, mais les pays européens. Nos gouvernements sont indignes et vraiment pas à la hauteur de la situation.
Est-il encore temps d’agir ? Si la France avait le courage d’une politique européenne, elle devrait soutenir un deal avec l’Allemagne, lancer une grande politique d’investissement à l’échelle européenne, en favorisant l’accueil des réfugiés dans tous les pays, au-delà de la relance économique.
Et en accueillant davantage de réfugiés ? Je ne suis pas croyant, mais soyons au moins à la hauteur de ce qu’avait dit le pape François, qui estimait qu’il faudrait accueillir au moins une famille par paroisse. En France (16 550 paroisses), cela ne ferait qu’environ 60 000 réfugiés. Je ne dis pas que c’est simple mais, rapporté à notre population, ce n’est quand même pas un effort énorme. Ce serait déjà un peu plus honorable que les 30 000 annoncés sur deux ans.
D’autant que la France est loin de ces 30 000, avec à peine 200 réfugiés relocalisés ici dans le cadre du plan européen… Et la France n’est même pas la pire en la matière. Certains pays de l’Est sont quasiment à zéro ; la Grande-Bretagne est aussi en retard. Bien sûr, la France est très loin d’avoir fait le boulot comme l’Allemagne et, durant des mois, la Suède et l’Autriche. Nous ne sommes pas non plus percutés par l’afflux de réfugiés comme l’Italie et la Grèce, en première ligne.
La question n’est pas de savoir si on a envie ou pas d’accueillir ces gens, la question est de savoir ce qu’on fait. Il y a 4 millions de réfugiés syriens aux frontières de l’Europe : on ne peut pas se contenter d’en accueillir 30 000 sur deux ans. Ce serait nier la réalité du problème. Ce n’est même pas de l’indécence, c’est de l’irresponsabilité.
Fermer nos frontières ne contribue-t-il pas à renforcer les trafics ? Plus on met de barbelés, plus il y a de passeurs. Renforcer l’agence des frontières Frontex ne découragera jamais ces gens de passer. Ils ont vu leurs voisins ou une partie de leur famille se faire massacrer ; ils ont parfois voyagé, comme les Érythréens, pendant des mois dans des conditions abominables… Comment pouvons-nous les repousser ? Plus il y aura de frontières, plus les passeurs les mèneront vers des voies d’accès dangereuses.En ouvrant des voies légales de migration, ne craignez-vous pas d’inciter de nouveaux migrants à venir en Europe ?Cette crainte d’un « appel d’air » ne se vérifie pas. Mieux vaut mettre en place des visas multi-entrées, délivrés par des consulats européens dans les pays d’immigration et qui permettraient de repartir dans leur pays, puis de revenir s’ils le souhaitent.
Cela ne passe-t-il pas aussi par un droit au travail ? Bien sûr. On crée plus de problèmes en laissant se développer le travail clandestin de ces personnes qui ont bien besoin de vivre. Les statistiques montrent bien que l’intégration des migrants n’a pas d’effet sur l’emploi ou le niveau des salaires. En France, près de 60 % des employés des entreprises de nettoyage sont des immigrés ; ils sont 40 % dans les garages d’Ile-de-France ; et 50 à 60 % parmi les médecins qui pratiquent leur métier dans les quartiers difficiles. Cela montre bien qu’ils répondent à une demande qui n’est pas satisfaite par les autres travailleurs français.
Nous avons besoin d’eux… Les migrants participent de l’enrichissement des finances publiques, plutôt que de leurs problèmes. Ils arrivent le plus souvent déjà formés : ce sont des contributeurs nets aux finances publiques. Certes, ce n’est pas facile ; il y a toujours eu et il y aura encore des zones de frictions liées aux migrations, mais si la France a pu, à un moment, prétendre à un certain universalisme, c’est bien parce qu’elle a été un pays d’accueil.
La France fait-elle encore rêver les migrants ? Beaucoup ne lui préfèrent-ils pas l’Allemagne, la Suède ou la Grande-Bretagne ? Ce qui devrait nous inquiéter, aujourd’hui, c’est de voir que certains migrants, dans les camps, ne veulent plus venir en France. C’est aussi le cas à Calais, où ils ne rêvent que de la Grande-Bretagne. C’est le signe que la France est un pays qui se rabougrit.
03/03/2016, Cécile Réto
Source : ouest-france.fr