Qui peut apporter des solutions au défi migratoire en Europe? Les réfugiés eux-mêmes, juge Ashoka. Selon ce réseau d'entrepreneurs sociaux, des initiatives permettent aux migrants de reprendre leur destin en main, dans l'intérêt des pays d'accueil.
Alors que l'Europe semble paralysée face aux défis posés par la pression migratoire à ses frontières, il est temps de cesser de considérer les réfugiés comme des victimes ou des problèmes, et de comprendre qu'ils peuvent devenir des agents du changement, de qui viendront les solutions que nous cherchons.
On pourrait penser que seul un naïf invétéré se donnerait pour mission de transformer certains des lieux les plus misérables, les plus délaissés de la planète, en plateformes d'opportunités et de créativité. C'est pourtant précisément ce que Daniel Kerber fait. Travaillant dans des camps de réfugiés à travers le monde, cet entrepreneur allemand a une règle simple pour accomplir cette tâche: ne plus voir ceux qui fuient la violence comme des victimes ou des problèmes, mais comme des personnes créatives qui portent en elles les réponses aux défis auxquels elles sont confrontées.
Ecoles, ferme et laboratoire dans un camp jordanien
En pratique, ce principe se traduit par More Than Shelters (Plus que des abris): une organisation qui aide les réfugiés à concevoir leurs propres camps en utilisant des structures préfabriquées mais adaptables, appelées Domos. À Za'atari, en Jordanie - l'un des plus grands camps du monde - la méthode a donné lieu à la création de centres communautaires, d'écoles, d'une ferme urbaine et même d'un laboratoire technologique qui fabrique des prothèses grâce à des imprimantes 3D.
Après l'annonce récente d'un triplement du nombre de demandeurs d'asile arrivant en Europe par rapport à l'année précédente, la philosophie de Daniel Kerber sera plus que jamais nécessaire sur son continent d'origine. L'accablante majorité des médias et des politiciens perçoit les réfugiés de deux manières: comme un groupe nécessitant l'aide urgente du gouvernement ou comme une menace envers les intérêts des nations européennes.
"Leurs enfants et petits-enfants grandiront ici"
Il ne faut bien sûr pas minimiser les défis sécuritaires que pose un mouvement de population d'une telle ampleur, ni le fait que de nombreux réfugiés ont désespérément besoin d'aide et de soins. Mais quand des centaines de milliers de gens se pressent à vos frontières, il ne s'agit pas là de défis à court terme.
Nombre d'entre eux ne pourront sans doute pas rentrer dans leur pays d'origine avant des années. Si l'on en croit les précédentes vagues de migration vers et à travers l'Europe, il est possible qu'une grande partie d'entre eux restent sur ce continent toute leur vie. Leurs enfants et leurs petits-enfants y naîtront et y grandiront.
Les traiter comme des objets de charité ou des menaces serait la pire manière de commencer le processus de long terme qu'est l'intégration des réfugiés dans la vie sociale, politique et économique en Europe. Très rapidement, les craintes que les réfugiés vivent en marge de la société et dépendent de l'aide du gouvernement deviendraient réalité.
"Des réfugiés devenus entrepreneurs pour inspirer et soutenir"
Face à ces risques, Ahmad Eldini a lancé l'organisation Dubarah. Elle mobilise les communautés d'expatriés syriens et pas moins de 80 000 volontaires pour aider les réfugiés à trouver du travail ou des investisseurs pour leurs projets d'entreprises, et leur donner des conseils pour s'adapter à une culture inconnue. Nathanael Molle a aussi mis en place Singa, un réseau de réfugiés devenus entrepreneurs prospères pour inspirer et soutenir ceux qui souhaiteraient créer leur propre société.
Mary Nally, avec l'organisation Failte Isteach, encourage quant à elle la créativité des réfugiés et celle des communautés locales. Des milliers de volontaires, plus âgés pour la plupart, se mobilisent pour enseigner aux réfugiés la langue de leur pays d'accueil. Il s'agit là d'autonomisation. Il s'agit de développer des outils capables de transformer un groupe, si souvent objet impuissant de pitié ou de dédain, en "agents du changement" qui contrôlent leur propre destin.
Si l'Europe pouvait se rapprocher de cet état d'esprit, le continent pourrait devenir bien plus qu'un triste abri: un lieu d'épanouissement et de créativité, comme l'envisage Daniel Kerber. Ce serait une bonne chose pour les nouveaux venus comme pour les Européens qui y résident déjà.
Par Adam Lent, directeur de la recherche et de l'innovation du réseau Ashoka en Europe. Son livre Small is Powerful: Why the era of big business, big government and big culture is over paraîtra en juin. Les entrepreneurs mentionnés sont accompagnés par Ashoka ou sont candidats à rejoindre le réseau.
04/03/2016 , Article initialement publié sur le site Medium d'Ashoka.
Source : lexpress.fr