Ils agitent les bras, s'étreignent et sourient, visiblement heureux de poser le pied sur le sol européen, dimanche, après une traversée périlleuse de la mer Egée depuis la Turquie vers l'île grecque de Lesbos à bord d'un canot pneumatique, comme avant eux, des dizaines de milliers de candidats à l'exil.
Ces quelque 50 migrants et réfugiés sont les premiers à être arrivés sur la petite île grecque depuis qu'est entré en vigueur ce dimanche l'accord conclu vendredi entre les Européens et la Turquie.
Cet accord est censé tarir les arrivées de migrants et de réfugiés dans l'Union européenne et "démanteler le modèle économique des passeurs".
En contrepartie d'un renforcement de l'aide financière accordée à Ankara, d'une accélération de l'exemption de visas pour les ressortissants turcs et d'une reprise des négociations d'adhésion à l'UE, les autorités turques acceptent de reprendre les migrants arrivant clandestinement sur les îles grecques de la mer Egée.
L'accord conclu vendredi prévoit le retour en Turquie de toutes les personnes qui arriveront illégalement sur les îles grecques de la mer Egée à partir de ce dimanche, selon le principe du "un pour un": "Pour chaque Syrien renvoyé en Turquie depuis les îles grecques, un autre Syrien sera réinstallé de la Turquie vers l'UE en tenant compte des critères de vulnérabilité des Nations unies".
Le texte précise que les migrants arrivant dans les îles grecques seront "dûment enregistrés et toute demande d'asile sera traitée individuellement" en coopération avec le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). "Les migrants ne demandant pas l'asile ou dont la demande d'asile a été jugée infondée ou irrecevable (...) seront renvoyés en Turquie."
875 ARRIVANTS EN 24 HEURES
Epuisés mais soulagés, les migrants arrivés dimanche matin sur le rivage de l'île de Lesbos ont enveloppé leurs vêtements humides dans des couvertures de survie tandis que des bénévoles leur offrent des habits secs et des vivres.
Selon un responsable de la police, une douzaine de bateaux sont arrivés avant 06h00 du matin sur une côte située près de l'aéroport de Mytilène. Un journaliste de Reuters a assisté à l'arrivée dès l'aube de trois embarcations en l'espace d'à peine heure. Deux hommes ont été extirpés inconscients d'un des bateaux au milieux des cris de leurs compagnons de voyage.
D'après un point établi à la mi-journée par le gouvernement grec, 875 personnes sont ainsi arrivées au cours des dernières vingt-quatre heures.
Ceux qui ont décidé de braver les flots pour rejoindre l'Europe espèrent passer outre l'accord de Bruxelles.
Hussein Ali Mohammed, un Syrien dont les études de lettres ont été interrompues par le conflit, explique qu'il compte se rendre au Danemark pour y poursuivre son cursus. Il dit être "au courant" de l'accord de vendredi. Mais, ajoute-t-il, "j'espère franchir les frontières. J'espère pouvoir terminer mes études ici, c'est tout. Je ne veux pas d'argent, je veux juste terminer mes études. Voilà mon message."
Hussein Ali Mohammed a multiplié les petits boulots en Turquie pour s'offrir les services d'un passeur et sa principale crainte aujourd'hui est d'être renvoyé de l'autre côté de la mer Egée. "J'ai travaillé très, très dur en Turquie. J'ai économisé pour venir ici."
Autre arrivant, Mohammed, un informaticien de trente ans originaire de Deraa, dans le sud de la Syrie, dit vouloir rester en Grèce jusqu'à ce qu'il trouve un moyen de retrouver son épouse et son fils en Allemagne.
PREMIERS RETOURS LE 4 AVRIL
Les premiers retours sont prévus le 4 avril, date à partir de laquelle la Grèce aura dû mettre en place un système d'examen accéléré des demandes d'asile. L'UE a promis d'envoyer une mission de 4.000 agents en renfort en Grèce, dont des juges, des traducteurs et des douaniers afin de pouvoir gérer chaque cas sur une base individuelle.
La légalité de l'accord entre l'Union et la Turquie continue cependant de poser question et le sort des dizaines de milliers de migrants et réfugiés déjà arrivés en Grèce n'est pas clair.
Quelque 144.000 personnes, Syriens, Irakiens et Afghans pour la plupart, sont arrivés depuis le début de l'année en Grèce selon des chiffres du HCR. Près de 60% d'entre eux sont des femmes et des enfants. En 2015, près de 860.000 personnes avaient gagné la Grèce par voie maritime ou terrestre, toujours selon le HCR.
Très peu, voire aucun d'entre eux, n'a l'intention de rester en Grèce, privilégiant le nord de l'Europe, l'Allemagne notamment, où ils espèrent trouver davantage d'aide et de meilleures perspectives d'emplois qu'en Grèce où la crise économique reste vivace.
Mais avec la fermeture des frontières qui a bloqué la "route des Balkans", au moins 48.000 migrants et réfugiés sont coincés en Grèce, dans des camps et dans des ports. Douze mille d'entre eux patientent dans des conditions déplorables dans le secteur d'Idomeni, à la frontière macédonienne, dans l'espoir de poursuivre leur route vers le nord.
18 mars 2016,Karolina Tagaris
Source : Reuters