samedi 23 novembre 2024 08:46

Précarité, immigration : les défis de l’intégration urbaine dans l’UE

Alors que les trois quarts des Européens vivent en ville, quels sont les enjeux économiques de l’intégration urbaine ? Dans cette édition, nous parlons de l’accès au logement pour les plus vulnérables et de l’impact sur les infrastructures de l’arrivée de migrants avec des exemples d’initiatives en Espagne et en Finlande. Nous recueillons aussi le point de vue de la présidente d’Eurocities et maire de Nantes, Johanna Rolland et de la Commissaire européenne chargée de la politique régionale, Corina Cretu.

Un Européen sur onze est en situation de privation matérielle d’après certains critères statistiques. Ils sont 30% à ne pas pouvoir faire face à une dépense imprévue et plus d’un sur dix consacre 40% de son budget à se loger.Certains ne peuvent pas couvrir leurs besoins de base, ils doivent s‘éloigner des centres-villes où se trouvent les emplois, ils ne sont plus en mesure de travailler et finissent par dépendre des allocations. Ce qui engendre un coût pour les collectivités, notamment locales.

Notre reporter Monica Pinna est allée voir comment une grande ville comme Barcelone gère les choses. Dans la capitale catalane, environ 10.000 logements sont accessibles pour un prix inférieur au marché et spécifiquement destinés aux personnes vulnérables, soit moins de 2% des hébergements de la ville. “Barcelone compte 1,5% de logements sociaux, indique notre reporter avant d’ajouter : En comparaison, c’est 48% à Amsterdam ; Berlin, Londres et Paris complètent le quatuor de tête des villes européennes au parc HLM le plus développé.”

Logement : une révolution est en marche à Barcelone

Mais le nouveau conseil municipal de gauche, dirigé par Ada Colau, figure des Indignés, a décidé de faire du logement une priorité. Il inflige des amendes aux banques propriétaires de biens vides, acquiert de nouveaux logements pour accroître l’offre sociale, restaure l’existant et fait construire 2000 autres hébergements. Ce qui a déjà engendré pour la Ville, une dépense de 29 millions d’euros en huit mois. “Le gouvernement catalan a déjà dépensé 12 millions en aides à la location pour aider les gens qui n’allaient pas être capables de payer leur loyer ou qui ne pouvaient déjà plus le payer, souligne Vanesa Valiño qui dirige le service logement au Conseil municipal de Barcelone. En faisant cela, poursuit-elle, la Ville évite de devoir leur attribuer un logement social.”

Parmi les 3000 foyers aidés par la municipalité, Jorge Olaria Villar et son fils. Ils ont emménagé dans un logement social en décembre. Une association, la Plateforme des victimes des crédits hypothécaires (PAH) co-fondée par l’actuelle maire, les a aidés à éviter l’expulsion. “J’ai vécu dans un sous-sol pendant sept ans jusqu‘à ce que je perde mon emploi, raconte-t-il. Un jour, ils sont arrivés avec un papier comme quoi j‘étais expulsé, cela faisait trois ans que je ne payais plus le loyer ; aujourd’hui, je verse 20% de mon revenu pour l’appartement : 85 euros par mois,” dit-il.

Pressée par l’association PAH, la Ville a pris d’autres mesures : elle peut demander aux grands groupes – comme les banques – qui sont propriétaires d’appartements vides d’en faire des hébergements d’urgence pour les expulsés.

De plus, elle considère désormais que ceux qui risquent de perdre leur appartement ont droit à un logement social. “Il y a environ trente expulsions par jour à Barcelone dont plus de la moitié pour non-paiement du loyer, explique Luis Manuel Sanmartín, militant de l’association. On veut que ces 2500 appartements qui sont vides dans la ville fassent partie de l’offre sociale,” insiste-t-il.

La municipalité de Barcelone a d’ores et déjà racheté 455 logements en négociant avec les banques qui les détenaient.

Johanna Rolland, d’Eurocities : “Les politiques européennes doivent être pensées avec les villes”

Evidemment, l’exemple de Barcelone n’est pas transposable partout ailleurs et c’est là qu’un réseau comme Eurocities prend tout son sens : il réunit les maires de 130 villes à travers l’Europe autour du partage d’expérience.Fanny Gauret a rencontré Johanna Rolland, maire de Nantes et présidente d’ Eurocities. Elle a commencé par lui demander quel était le plus grand défi que les villes européennes devaient relever aujourd’hui.

Johanna Rolland, maire de Nantes et présidente d’Eurocities :“Le premier, c’est la question du logement. Demain, à l‘échelle de l’Europe et même du monde, les villes seront amenées à concentrer beaucoup de population. Nous avons d’une part, des difficultés – par exemple, des enjeux de précarité, environnementaux -, mais surtout, d’autre part, des solutions. Pour être efficaces, les politiques européennes doivent être pensées avec les villes, parce que les villes, c’est du concret, ce sont des leviers : dans ma ville, par exemple, demain, on aura construit 6000 logements par an, 2000 logements sociaux. On se donne les moyens d‘être actifs sur ces sujets. Quand on soutient une telle politique de logement, c’est aussi un soutien à l‘économie locale et à l’emploi local.”

Fanny Gauret, euronews :“En matière de transport, si vous aviez des solutions à mettre en place, ce seraient lesquelles ?”

Johanna Rolland :“La responsabilité de nos villes, de nos grandes métropoles, c’est d’avoir une vision stratégique des enjeux d’intégration. Quand je regarde aujourd’hui en Europe, je vois des villes comme les nôtres où il y a le cœur de ville qui est traversé tout comme les quartiers populaires par un réseau de transports, cela crée du lien. Quand je regarde d’autres situations où il y a le cœur de ville, le périphérique et au-delà, les quartiers populaires : dans ces cas-là, on peut être très offensif en termes de politique sociale par exemple. Mais si la fracture physique est trop forte, la fracture dans les têtes en termes d’inégalités, de division, de segmentation reste présente.”

Fanny Gauret :“Parmi toutes les villes que vous représentez en tant que présidente d’Eurocities, est-ce qu’il y en a une en particulier qui vous paraît être un bon modèle ?”

Johanna Rolland :“Nos villes sont diverses, elles n’ont pas les mêmes histoires, pas les mêmes parcours. Je regarde avec attention ce que fait Amsterdam par exemple sur les enjeux de transition numérique, mais je regarde aussi avec attention ce que fait Barcelone, notamment sur la question culturelle. On a beaucoup échangé récemment avec les villes allemandes, y compris sur la question difficile des réfugiés.
Quand on regarde ce que fait une ville comme Vienne par exemple, en particulier sur la question du logement abordable, on voit qu’il y a des choses dont on peut s’inspirer les uns les autres pour être plus imaginatifs, plus efficaces et pour porter au niveau européen, un certain nombre de solutions.”

“L’an dernier, dix fois plus de demandeurs d’asile sont arrivés en Finlande”

On ne peut pas parler d’intégration urbaine sans évoquer l’arrivée en Europe depuis des décennies, de migrants en situation régulière ou en demande d’asile. Aujourd’hui, ils viennent par la plupart de pays en proie aux violences comme la Syrie, l’Afghanistan et l’Erythrée. Pour l‘économie européenne, les effets sont positifs à court terme : la demande intérieure augmente avec les dépenses des gouvernements pour loger et soigner ces nouveaux arrivants. Mais à moyen et long terme, l’impact sur le PIB dépendra de l’intégration de ces populations à un marché du travail axé sur la flexibilité et les compétences.

Dans ce contexte, notre reporter Monica Pinna s’est rendu à Vantaa en Finlande pour voir ce qu’on y fait en matière d’emploi et de prestations sociales.

A Vantaa, toutes les cultures se cotoyent. Cette ville située près d’Helsinki accueille la plus forte proportion de personnes issues de l’immigration à l‘échelle du pays. Nous rencontrons chez elle, Samira Chakir : elle fait partie des quelque 30.000 immigrés qui vivent ici. Elle est arrivée du Maroc il y a dix-neuf ans, un diplôme de droit en poche. Cette mère de cinq enfants travaille aujourd’hui dans un centre pour les réfugiés. “En 1997, quand je suis arrivée en Finlande, je n’arrivais pas à trouver des cours de finnois, raconte-t-elle avant d’ajouter : A l‘époque, les choses étaient faciles pour les réfugiés, mais pas pour moi.”

La Ville de Vantaa s’est dotée d’un programme multiculturel

Vantaa dispose aujourd’hui d’un programme multiculturel qui favorise l’accès des immigrés à l’emploi par le biais de l‘éducation et de la formation. L’ONG Société internationale Hakunila notamment organise des cours de finnois et collabore avec les autorités locales en vue d’aider les immigrés. L’an dernier, 3000 personnes ont participé aux activités de l’organisation. “Les problèmes à résoudre sont de tout ordre : comment obtenir un permis de conduire, gérer la garde des enfants ou encore toucher des prestations de retraite,” énumère Burhan Hamdon, son directeur exécutif.

L’Agence locale pour l’emploi et la Ville envoient aussi leurs agents plusieurs fois par semaine au siège de l’ONG comme Suvi Lindén : “J’aide les personnes à trouver un emploi, à se porter candidates à un poste et aussi à faire une demande pour différents types de formation,” explique cette spécialiste des questions d’immigration à l’Agence de développement économique et de l’emploi.

Un défi social, politique et économique à l‘échelle de l’Union européenne

Comme nous l’indique Monica Pinna, “Plus de 33,5 millions de personnes nées en dehors de l’Union vivent dans les différents Etats membres. Quant aux demandeurs d’asile, leur nombre a augmenté de plus de 150% au troisième trimestre 2015 par rapport à la même période l’année précédente au niveau européen : leur accueil est un défi social, politique et économique.”

Ces dernières années, la Finlande enregistrait environ 3000 demandes d’asile par an, mais l’an dernier, leur nombre a dépassé les 32.000. “L’an dernier, dix fois plus de demandeurs d’asile sont arrivés en Finlande,” souligne Hannele Lautiola, directrice des affaires multiculturelles au sein de la municipalité. “On estime qu’environ 40% de ces demandeurs obtiendront un titre de séjour,” précise Anna Cantell-Forsbom dirige le service de la famille. “Il nous faut bien sûr, beaucoup plus de services dédiés à ces arrivants,” renchérit Hannele Lautiola.

L’Europe a mis en place le Fonds Asile Migration Intégration (FAMI) doté de 3,14 milliards d’euros pour promouvoir une gestion plus efficace des flux migratoires et développer une approche commune de l’asile et de l’immigration. Le Royaume-Uni est le premier bénéficiaire de ce Fonds, il est suivi par l’Italie et la France.

Corina Cretu : “Pour la première fois, nous allons donner des fonds directement aux villes”

Que font les villes pour se développer et intégrer de nouvelles populations quand elles sont confrontées à cette arrivée de migrants ? Comment les politiques européennes se traduisent-elles concrètement ? Nous avons interviewé à ce sujet, la Commissaire européenne chargée de la politique régionale Corina Cretu.

Maithreyi Seetharaman, euronews :“Comment intégrer les migrants en situation régulière et les demandeurs d’asile sans délaisser les populations autochtones vulnérables ? Et avec quel argent ?”

Corina Cretu, Commissaire européenne chargée de la politique régionale : “C’est le plus grand défi que nous devons relever dans l’Histoire avec un nombre record de personnes déplacées qui arrivent en Europe et comme vous l’avez dit, nous avons déjà dans nos pays, des catégories de populations vulnérables. Plus de 120 millions d’Européens sont menacés par la pauvreté et bien sûr, nous devons aujourd’hui tenir compte de cette nouvelle priorité, à savoir gérer la crise des migrants.
Il est très important de dire aux citoyens et aux villes que nous sommes au début d’une nouvelle période de programmation. On dispose de 450 milliards d’euros provenant de la politique régionale. Un montant qui avec la contribution des Etats membres, passera à 600 milliards. Grâce à tout cet argent, on veut s’attaquer à ces questions d’inégalité.”

Maithreyi Seetharaman :“Cette politique qui part de l‘échelon européen pour atteindre le niveau des villes suscite-t-elle des réactions positives ou négatives ?”

Corina Cretu :“Concernant cette politique qui fait l’objet de discussions entre Etats membres, les maires sont les premiers qui doivent mener des actions et des mesures rapides pour faire face aux flux migratoires. Pour la première fois, il n’y a aucune réticence à ce sujet. C’est la première fois que sur les sept prochaines années, nous allons donner des fonds directement aux villes : 16 milliards d’euros seront versés aux villes dans les domaines qui représentent les plus grands défis, c’est-à-dire le logement et la gestion des groupes de population vulnérables.

On a beaucoup d’exemples de villes qui gèrent déjà ces questions par exemple en Allemagne ou aux Pays-Bas. Mais dans d’autres pays, les collectivités locales ne savent vraiment pas quoi faire et on est là pour leur fournir de l’assistance technique.”

Maithreyi Seetharaman : “En 2016, sur quels aspects les villes devront-elles concentrer leurs efforts ?”

Corina Cretu :“L’intégration sociale sera de mon point de vue, la notion la plus importante de ces prochaines années. Mais il faudra aussi soutenir les start-up, favoriser l’efficacité énergétique, développer l’offre de logement, réhabiliter les zones urbaines défavorisées, créer des emplois, investir dans l‘éducation, la santé… Ce sont toutes des priorités de la politique régionale pour les sept prochaines années.”

21/03/2016,

Source : euronews.com

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