mercredi 3 juillet 2024 18:29

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L’impasse du communautarisme

Entre pression migratoire et montée de l’extrême droite, la France semble avoir de plus en plus de difficultés à définir une politique de l’immigration.

Patrick Kanner, le ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, a mis les pieds dans le plat en assénant qu’il y avait en France une centaine de cités présentant une «similitude potentielle» avec le quartier bruxellois de Molenbeek, où s’est enraciné le réseau jihadiste qui vient de faire, en quelques mois, tant de morts, de blessés et d’infirmes. On peut discuter la formule ministérielle, on ne peut pas esquiver la question qu’il pose implicitement : le communautarisme est-il dangereux ?

Il y a une génération, la réponse était négative. On voyait volontiers, à gauche et parfois au centre, le communautarisme comme une solution apaisée, tolérante, consensuelle au phénomène de l’immigration. Le communautarisme apparaissait alors en traitement moderne et libéral de la question toujours délicate de la coexistence de populations n’ayant ni la même histoire, ni la même langue d’origine, ni la même religion, ni le même mode de vie. C’était la lecture optimiste d’un destin commun : acceptons nos différences et vivons dans l’harmonie. Une version XXe siècle de la Nouvelle Arcadie. D’ailleurs, les Etats-Unis, le Canada, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, la Suisse, l’Allemagne avec les Turcs, la Belgique avec les Marocains du Rif ne mettaient-ils pas en œuvre ce système avec bonheur ?

Aujourd’hui, la réponse est devenue beaucoup plus pessimiste. Le communautarisme est toujours mis en œuvre en Amérique du Nord, avec plus de succès réel au Canada (qui pratique sans doute la politique d’immigration la plus efficace du monde) qu’aux Etats-Unis, où les minorités doivent toujours batailler pour faire respecter leurs droits. En Europe en revanche, on constate au contraire un net déclin du communautarisme. La Grande-Bretagne, longtemps très en pointe, se montre plus prudente depuis les attentats qui l’ont frappée, la montée de l’insécurité, de la xénophobie et du nationalisme. Outre-Manche, ce n’est pas la question musulmane qui inquiète, mais l’arrivée par centaine de milliers d’immigrés venus de l’Est, européens et catholiques. Aux Pays-Bas, et évidemment en Belgique, le communautarisme, pourtant traditionnel (il vient du Moyen Age et des villes libres, puis des rapports compliqués entre Hollandais, Flamands et Wallons), est âprement discuté. Il est même mis en accusation, considéré comme responsable des tensions, des violences et des attentats. Jadis regardé comme pacificateur, le communautarisme y est maintenant présenté par ses adversaires comme profondément déstabilisateur.

En France, il est passé de mode. Il est vrai qu’ici la tradition allait en sens opposé. L’Etat-nation le plus ancien et le plus unitaire d’Europe a longtemps pratiqué l’assimilation pure et simple : qui s’installait en France devait adopter nos lois, nos mœurs, nos rites, notre culture, notre langue : tous gaulois ! Puis, avec la décolonisation et l’immigration économique (largement organisée par la France), s’est imposée l’intégration : respect des lois, partage du système scolaire, économique et social, acceptation prudente de traditions culturelles et religieuses différentes, voire, sans l’avouer, de structures familiales différentes. Après quoi est apparue la tentation, d’ailleurs minoritaire, du communautarisme, émergeant en France au moment même où il commençait à être contesté dans les pays voisins. Son reflux se précipite déjà de façon très spectaculaire, sans même qu’il ait été réellement testé. On a joué avec l’idée, on a expérimenté ici ou là, mais désormais, ce qui l’emporte de beaucoup, c’est le rejet. Le communautarisme, voilà l’ennemi !

Il y a à cela cinq raisons décisives : une immigration mal pilotée, le poids de la crise, la ghettoïsation des nouveaux venus, l’offensive violente des jihadistes, la montée de la xénophobie et du nationalisme. La France hésite depuis vingt ans entre plusieurs politiques de l’immigration sans jamais parvenir à choisir, d’où son échec programmé. La crise diminue brutalement les moyens alors même que les besoins augmentent. La ghettoïsation des nouveaux venus remplace l’intégration voulue par un communautarisme subi. L’accentuation de la pression migratoire venue du Moyen-Orient se conjugue avec les attentats perpétrés par l’Etat islamique, provoquant à la fois peur, colère et rejet. La France se ferme et fait comprendre que les nouveaux immigrés, même en situation de détresse absolue, ne sont pas les bienvenus. Elle fut un pays d’accueil, elle devient un pays hostile, et même un pays repoussoir. Enfin, la montée continue de l’extrême droite exerce une pression massive sur le gouvernement, qui fait tout pour décourager et dissuader les immigrants économiques et même humanitaires. Le communautarisme est devenu une impasse et l’intégration, un semi-échec.

30 mars 2016, Alain Duhamel

Source : Libération

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