Condamné et emprisonné pour plusieurs délits en France, le Marocain Ahmed Zaki fut expulsé du territoire en 2002, sous le régime de la double peine. Direction le Maroc, où débutera son long et éprouvant combat pour revenir sur le sol français par tous les moyens.
Après plus de 15 ans de galère, Ahmed Zaki peut enfin tourner la page. Ou en tout cas en écrire une nouvelle. En France depuis l’âge de 12 ans, père de deux enfants, il commettra plusieurs délits qui l’empêcheront d’obtenir la nationalité française et le mèneront en prison. Sa dernière peine se soldera par un arrêté d’expulsion du territoire, forçant Ahmed à s’envoler pour son pays d’origine, le Maroc.
L’homme, aujourd’hui âgé de 58 ans, revient avec Jeune Afrique sur sa lutte acharnée pour se libérer des chaînes de la double peine, récemment remise sur le tapis (notamment par l’extrême droite comme le montre le tweet ci-dessous) à la faveur du débat sur la déchéance de nationalité – projet finalement abandonné par François Hollande.
Désillusion et mendicité
« Je voulais partir pour me soigner, arrêter de gagner de l’argent sale, repartir à zéro », nous explique Ahmed Zaki. Un nouveau départ qu’il appréhendait, sans savoir encore à quel point il se révélerait difficile. Ne parlant pas l’arabe, sans un sous en poche, il dort d’abord chez quelques personnes rencontrées sur place avant de se retrouver à la rue, contraint de mendier pour survivre. « J’ai rencontré d’autres personnes expulsées comme moi, qui en ont beaucoup souffert. J’ai vu de près les gros dégâts causés par cette loi de la double peine ».
Une année de calvaire avant d’être recueilli par la fondation Hassan-II pour les Marocains résidant à l’étranger, où on lui offre l’aide et l’espoir dont il avait besoin. Il retrouve alors la force de « taper à toutes les portes, en commençant par le bas et en visant plus haut après chaque refus ». Autre déclic : En 2003, Nicolas Sarkozy, alors ministre français de l’Intérieur, fait voter une loi abolissant la double peine. L’avocat d’Ahmed dépose alors deux demandes d’abrogation de la peine d’expulsion, en vain.
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Après s’être adressé à plusieurs organisations comme le mouvement antiraciste français (Mrap) et la Ligue française des droits de l’homme (LDH), au ministre délégué chargé des Marocains résidant à l’étranger ainsi qu’aux médias, Ahmed décide d’entamer une grève de la faim. Mais il se rend rapidement compte que ses efforts ne le mènent nulle part, sinon « à 3 000 km de distance ». C’est alors qu’il décide de tenter le tout pour le tout. À ces risques et périls.
Traversée clandestine
Fin 2007, Ahmed prend la décision de rejoindre illégalement la France, pour pouvoir y faire entendre sa voix. Après deux mois de préparation, sans en parler à personne, il se rend en Turquie, où il restera 10 jours. « Je n’avais plus le choix », explique-t-il à Jeune Afrique. « Le Maroc j’adore, mais c’était devenu trop difficile pour moi d’y vivre. Je voulais rejoindre la France à tout prix, c’est là que j’ai grandi, c’est là où je me sens bien, là où m’attendait ma famille. »
Il embarque alors clandestinement sur un petit bateau en direction de la Grèce, lui qui ne sait pas nager. Arrivé là-bas, il réussit à passer outre les contrôles et marche pendant plusieurs nuits, sans vraiment savoir où aller. « J’ai été très prudent, j’ai pris mon temps. Tout au long de cette aventure, je peux dire que j’ai toujours eu de la chance dans ma malchance. »
De la chance, il en a eu en effet en rencontrant un Bulgare parlant le Français, puis d’autres personnes qui l’ont aidé à « se débrouiller » pendant plusieurs mois en Grèce. En 2009, après un passage par Francfort, il rejoint enfin la ville de Bourges par train. Mais les ennuis n’en finissent pas pour autant.
Retour en France et fin du sursis
Pendant deux mois, il reste enfermé chez lui, par peur d’être arrêté. Puis, il reprend son porte à porte pour tenter de régulariser sa situation. Après de nombreuses démarches, il obtient en 2011 une assignation à résidence et une autorisation provisoire de séjour de 6 mois grâce à la preuve de l’existence de liens familiaux en France. Toujours sous le coup de l’arrêté d’expulsion, Ahmed continue à vivre dans l’angoisse, obligé de se présenter une fois par mois au commissariat et limité dans ses droits.
Aujourd’hui, il se lance un nouveau défi : l’écriture d’un livre sur son aventure
Et finalement, la délivrance, en juin 2015. Son arrêté d’expulsion est abrogé, il obtient un visa long séjour valant titre de séjour (valable un an et renouvelable), et peut commencer à se reconstruire. « Ce qui fait ma force, c’est que je ne lâche jamais rien. (…) Je ne regrette pas d’être allé au Maroc. Sinon, j’aurais continué dans la mauvaise voie », nous confie Ahmed, ému, fatigué, mais heureux d’avoir enfin réussi. « Avec du recul, je me rends compte que c’est beau ce que j’ai fait, je suis fier de moi. Je me suis battu jusqu’au bout, dans le bon sens cette fois. »
Aujourd’hui, Ahmed Zaki travaille dans une mairie en contrat aidé, il vient d’emménager dans son propre appartement, et se lance un nouveau défi : l’écriture d’un livre sur son aventure. Un rêve, qui lui fera aussi office de thérapie, qui l’aidera à avancer. « J’ai fait des bêtises, je les assume et je n’en veux à personne. La page est tournée et je veux le montrer à travers ce livre. » Pour cela, il lance un appel aux éditeurs et espère qu’au moins un d’entre eux voudra bien l’aider. « Je garde toujours espoir. Quand une porte se ferme, une autre s’ouvre. »
04 avril 2016, Rebecca Chaouch
Source : Jeune Afrique